Enseigne du Soleil d’or
Tout un enseignement !?
En l’occurrence, comment ne pas se souvenir d’une citation attribuée à Guillaume 1er d’Orange-Nassau : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
Voici la petite expérience qui convoque cette belle pensée :
Il était une fois une auberge dite « du Soleil d’Or », sise au 226, rue de Vaugirard à Paris, sur la route de Versailles, non loin de la Mairie du 15e arrondissement !...
En tel lieu des vestiges du début du XVIIIe siècle avaient survécu jusqu’à nous. A l’époque de l’octroi de l’ouest de Paris (au niveau du métro Pasteur actuel), c’était le premier relai de poste hors les murs, à 3,6 km de Notre-Dame. D’ailleurs, sur une ‘sucette historique’ de la Ville, le passant peut lire – en des termes distillés – qu’il y a eu passions en 1791, puis en 1796 ; donc que le lieu est toujours ‘chargé’. Conspirations, arrestations, et morts d’homme se sont produites en cette bonne auberge du village de Vaugirard :
Ce lieu se trouvant non loin de mon atelier parisien, c’est très naturellement que je me suis senti un devoir de tenir le rôle de la conscience esthétique au sein d’un petit regroupement Citoyen. En propriétaires bien d’aujourd’hui, pour la sauvegarde de leur lopin de pierre, ils avaient fondé une Association du Soleil d’Or (loi 1901) qui s’était donnée pour mission : « la préservation des immeubles à caractère pittoresque (…)» site historique, patrimoine national et local.
On imagine facilement : – Le bâti ancien était devenu une ruine avec deux voies pavées très anciennes (peut-être exceptionnelles dans Paris ?), le tout manifestement pris dans une mutation architecturale… L’idée qui a fait débat en 2005 fut d’y répondre par la réhabilitation d’un petit commerce, d’un restaurant, et de logements sociaux de qualité (cf. Conseil de Quartier Cambronne-Garibaldi du 13 oct. 05).
D’une architecture médiocre (mais respectant le plan général du bâti XVIIIe), l’opération s’est surtout caractérisée depuis le ‘démontage prévisionnel des travaux’ (1er trimestre 2007), par un époustouflant catalogue de mauvaises réalisations… Le lieu ‘compliqué’ se trouvant sur d’anciennes carrières sur la voie de charroi de Notre-Dame, la tache fut pour le moins complexe. Et parfois, l’on a même pu se demander si c’était une démonstration de non savoir-faire d’une équipe d’ouvriers mal dirigés, ou si c’était ici la part nécessaire pour une démonstration très contemporaine du genre : – vous voyez bien qu’on ne sait plus faire ! Pourquoi exiger mieux à si petite échelle ?! – Il aurait mieux valu tout casser et bâtir neuf, moderne, plutôt que de procéder à une réhabilitation hasardeuse, pleine de déconvenues !
Et, pas à pas, des pétitions ont donc dû être lancées dans le quartier (par exemple, sur les teintes des badigeons de façade, sur l’ordonnance des pavés anciens, ou sur le bon emplacement de l’enseigne). Le tout, avec et sur la croyance utopique : au final, on nous raconterait « une histoire qui finirait bien » (sic).
Ce 19 novembre 2013 à 14h 15… cerise sur le gâteau de la réhabilitation : la remise en place de l’enseigne pittoresque.
Et comment ne pas penser qu’une heureuse restauration de l’emblème associatif au soleil d’or serait possible ?
En mars /avril 2009 un artisan de proximité pris en charge le travail, mais il se prit au jeu d’aujourd’hui de la tavola rasa… pour ne livrer en définitive – et ce malgré ma réprobation nette et sans faille d’alors –, que de la feuille d’or et du bleu primaire à l’association… ‘dans un goût bling-bling’.
La question de la restauration d’une œuvre d’artisanat d’art ou de l’Art est chose complexe ; elle est souvent riche de choix multiples (plus ou moins souhaitables !) mais dont la finalité est essentiellement esthétique… et porteuse de sens. C’est donc souvent une affirmation de vision et de choix que les contemporains se donnent sur les temps passés, et la Restauration d’un visuel s’inscrit toujours comme un marqueur du mental d’une civilisation donnée à un moment particulier de connaissances… André Malraux écrivait donc « nul ne peut échapper à son ombre portée », même si elle tend à l’objectivité savante. Or ici, en l’occurrence… !?
A présent, une enseigne qui n’est pas (ou plus) celle des origines et qui, suite au décapage jusqu’au bois par l’artisan est : une restauration abusive (un objet !). Rien qu’un objet de ‘luxe’ vide… devenu sans âge, hélas… De plus, livrée non finie par l’artisan…
Que de la matière donc, du futile en guise de souvenir d’une auberge (enseigne sans production de sens utile), si ce n’est grâce à la présence « requise » des plus hautes autorités du lieu : M. Philippe Goujon et Mme Anne Hidalgo, respectivement, Maire du 15e arrondissement, et Maire-adjointe (candidate socialiste à la Marie de la capitale) !
Or pourquoi être dans le factice sur un tel lieu « historique », sans le brin vraisemblable ? Artiste, et naturellement dans l’espérance façon Guillaume 1er d’Orange… j’essayais de convaincre encore dans les jours d’avant l’inauguration (car, après quatre années de repos clandestin et d’oubli dans les locaux de l’ex association), pour cette enseigne ne pouvait-on mieux :
« Je m'adresse à vous, Anne Hidalgo, et au Syndic qui gère la Cour du Soleil d'Or pour avoir l'autorisation, avant que ne soit mis le voile d'inauguration, de passer rapidement un glacis de cire colorée sur le bleu afin d'en restituer la convention héraldique ».
Puis encore, la veille au matin, à l’ensemble des acteurs, par courriel :
« Souvenez-vous de cette "restauration" brutale de l'enseigne du soleil d'Or ! Sur la fin, l'artisan a imposé une sous-couche (bleu de cobalt foncé) avant le travail final nécessaire qu'il devait à l'association : celui d'un glacis final à l’encaustique - bleu de manganèse… En fait, il se devait après un décapage complet (fort critiquable, voire même barbare...) de rétablir le bleu-roi d'azur originel.
Teinte héraldique juste qui était, d'ailleurs, présente sur l'état précédent (confère ci-dessous). Une couleur azur qui, par sa portée affective claire et souriante, correspond bien à la nature solaire de l'or présent :
En haut : état avant « restauration »; au centre : après réhabilitation (pour l’instant)… état consécutif au non fini chromatique de l’artisan ; en bas, centre : référence héraldique juste du bleu-roi azur, par exemple, sur l’ancien blason des Bourquin de Bise/Orléans-Longueville, peinture sur porcelaine de Henriette Grandjean-Bourquin ; ou en bas, blason de Clairac en Lot-et-Garonne : « d'azur au soleil rayonnant d'or », devise : « Ville sans roy, soldat sans peur »
A mes yeux experts – j'ai dû hélas démissionner de l'association (et de mes amis) pour marquer !… – une "restauration" abstraite mais surtout fausse… (anachronique comme un soleil la nuit !) et qui en l'état d'erreur est un piège : une contre vérité chromatique offerte aux autorités de la Mairie du 15ème… !?!
Sincèrement imaginez un peu dans une société qui, faute de rigueur sur ses valeurs culturelles et ses convenances, va politiquement vers les extrêmes ! (dans le domaine visuel, c'est l'équivalent d'erreurs grammaticales, de fautes de conjugaison et d'orthographe à la première page d'un dictionnaire).
Après toutes ces luttes sur ce chantier du 226 rue de Vaugirard, c'est vraiment à corriger. N'est-ce pas ? »
Fallait-il croire aux miracles ? J’ai la foi d’un Guillaume d’Orange… (je l’ai dit), et finir le courriel par « dans l'attente de votre réponse, veuillez croire… » pouvait aussi se révéler naturel !
A l’époque, pas si lointaine, où la conscience esthétique s’articulait avec la civilité et la courtoisie, sur une culture générale liée aux bonheurs humains dans l’existence, les responsables politiques s’appropriaient naturellement le formellement permis des Arts et menaçaient le peuple par un « il est formellement interdit de… ».. Car, sans convenance formelle dans la Cité, comment bâtir par exemple une cathédrale ? (édifier par plusieurs maîtres d’œuvre…). Et il n’est pas nécessaire de souligner qu’une Ville européenne prouve sa richesse par maintes esthétiques formelles justes en interaction.
J’étais persuadé que les autorités politiques du 15e arrondissement de Paris y seraient sensibles… Il est d’ailleurs encore des puissants capables d’éveils esthétiques et sachant lire avec goût dans les signes artistiques d’un temps donné – donc de faire la part des choses – lorsqu’un artiste vivant présente l’authenticité ardente d’une certaine passion... De même, jusqu’à preuve du contraire en démocratie, un identique esprit d’ouverture politique pousse à l’honneur souverain de répondre toujours même sur un détail (lorsqu’il ne s’agit pas d’injures !).
Le raisonnement pouvait se tenir, mais aucune réponse ici, ni des uns ni des autres.
Arrive le jour de l’inauguration. A point nommé la Présidente de l’ex Association du Soleil d’Or explique l’historique de la lutte pour la préservation de l’espace ancien et des hauteurs du bâti respectées, et en guise de réponse dernière sur la proposition de prélever de mon temps de travail pour rétablir la conformité de nature et de couleur, noie le poisson : sur la 'question polémique du bleu' qui a pris maintenant un 'caractère plus européen' ; que la pluie, le soleil et la pollution auront vite raison de ce bleu sommaire pour en délaver la teinte foncée !
Dans une situation si consensuelle où : l’Association, la Droite (UDF) et la Gauche (PS) se sont serrées la main, quiconque n’est pas de l’avis des autorités diverses peut être discrédité, si... C’est d’ailleurs parfois aussi le sort de l’artiste (du moins pour ceux qui aujourd’hui encore mettent le temps long de la civilisation humaine dans leur jeu !). Mais à présent, pour moi ici : « Point n'est besoin d'espérer (…) pour persévérer ».
Peut-être faut-il alors soutenir :
-que le pragmatiste, le conformisme généralisé et l’infaillibilité pontificale sont de bonnes choses tant que leur rhétorique d’autorité table… sur de l’authentique, sur du vrai. (D’où le « Je maintiendrai » de Guillaume 1er d’Orange-Nassau !) ;
-qu’ayant à refaire fréquemment des œuvres altérées par des conditions climatiques rudes… les artistes orientaux savent que l’importance n’est pas dans l’apparence subie (or c’est le cas de cette enseigne !), mais, me semble-t-il, dans la tradition vécue, le savoir faire, et, surtout… le respect fondamental de ce qui est la justesse de l’esprit des choses ;
-qu’il faut connaître le métier pour pouvoir affirmer qu’une telle couleur va s’éclaircir (ainsi qu’il le faudrait ici). De même, qu’il faut savoir qu'une Ferrari sort jaune d'usine... avant sa finition en rouge relativement facile à créer ou à refaire par un carrossier expérimenté. Pour une peinture de qualité, on ne travaille pleinement qu’avec un vaste processus de sous-couches, de couches, de glacis de finition, ou de patines ;
-que la réception esthétique, sensitive et poétique, a ses règles du jeu (travail de l’artiste). Pour le sens commun, il y a, une couleur de nuit pour la nuit ! Idem, il y a une coloration ‘attribut’ pour le jour, le soleil, le roi, le roi-soleil... Car sans le ressenti symbolique nécessaire au mental humain, sans une norme élémentaire bien posée, on ne peut rêver ! C’est le signifié sensible demandé par les enfants, les fous, et les artistes... Un conventionnel nécessaire pour l'affirmation des libertés créatives ?
à gauche : Enseigne burlesque du Soleil d’Or au 226 rue de Vaugirard, Paris 15e avant les travaux; à droite, après... (hélas ?) : – Ne serait-il pas nécessaire que les choses ne se terminent ainsi qu’elles ont commencé... dans d'autres larmes ?
En guise d’enseignement et de conclusion :
Reste à savoir pourquoi il est devenu nécessaire à l’artiste visuel de proclamer l’élémentaire sur le web. Qu’il y a ici, par exemple, non plus question, mais problème.
Assurément, il ne revient pas de placer totalement l’ensemble de telles réflexions ‘esthétiques’ dans la sphère sociale et politique ; ni de soulever de vieux pavés… Et loin de moi l’idée qu’une nuance de bleu au soleil d’une enseigne soit l’omphalos (le nombril) des questions vives actuelles. Pourtant, de même que chacun en a fait l’expérience aujourd’hui lorsqu’il est utilisateur des technologies numériques, il y a des questions ‘de détail’ qui peuvent aussi apparaître fondamentales. Par exemple, dans la communication contemporaine, une virgule, un point, un clic inappropriés (donc du 'hors normes…') peuvent entraîner automatiquement un processus d’aberrations ou de blocage plus vaste. Et Georges Braque remarquait déjà « L’écho répond à l’écho ; tout se répercute. »
On peut observer que les autorités politiques se sont investies dans ce lieu ; il s’agissait peut-être ainsi de démontrer leurs capacités à bien gérer… Et, par tels ou tels petites réhabilitations de quartier d’induire une idée de leur savoir à venir pour les projets architecturaux du ‘Grand Paris’. Par de petits signes s’énonce parfois quelque grand emblème !
Certains pensent que le choix du ‘bon bleu’ pour l’enseigne n’est qu’un détail, mais il est aussi possible de le percevoir comme un élément symbolique (digne de considération). Il est remarquable que nous nous retrouvions en tel nœud d’évolution du 15e arrondissement devant une diversité de populations et d’intérêts assez représentative pour en tirer aussi quelque enseignement… D’ailleurs les autorités politiques sont attentives à tout indice symptomatique des mentalités, comme il en est d’une mesure ‘petite’ lors d’un sondage.
Au moins trois générations d’Artistes ont travaillé pour l’essor de la liberté individuelle avec le droit à l’arbitraire comme moyen d’autonomie et de création… D’où, pour l’homme de la rue un certain : 'ça ou ça… au fond, qu’importe !…' Mais à présent, les temps, impératifs, et nécessités n’ont-ils pas changé ?
On sait maintenant que la modernité est un état de crises non plus transitoire mais permanent… Aujourd’hui des chercheurs sociologues et psychologues soulignent qu’il y a une crise des normes, une certaine absence de repères et donc, quelque 'aliénation nouvelle'... « difficulté au jugement et au goût ». Le fait de choisir une couleur selon sa portée affective n’est point un 'conservatisme' mais une volonté de réactiver quelques capacités dans le flux des choses ; détail emblématique, ce type de petites déstructurations 'en couleur' devenant propices aux glissements faciles vers les intégrismes et les extrémismes.
C’est entrepris et dit ‘comme l’enseigne’ ; espérons donc encore !…
Auberge du Soleil d’Or (Wikipédia) Réhabilitation c.r. du 13/10/05Clairac (Lot et Garonne) Guillaume Ier d'Orange-Nassau Guinguette du Soleil d’Or