L’Atelier du peintre du M’O 4/4
« Adieu monsieur Courbet ! »
Originellement déjà la démarche était stupéfiante. A-t-on assez dit et répété les prétextes de cette restauration :
- Il s’agissait de « percer les mystères du tableau »
- Il fallait retrouver la « lisibilité » du Chef-d'œuvre et en corriger les « altérations »
- Ce tableau, en l’état, était « difficilement compréhensible pour le public ».
Et pour en faciliter la « compréhension immédiate », la restauration allait enfin dissiper les ténèbres…
Concrètement, avec cette « Restauration en public », il est devenu nécessaire d’expliciter une trahison avérée de la notion muséale de primauté du fait pictural… Malgré une bonne volonté affichée, il pouvait apparaître qu’aucune raison pleinement conservatoire ne justifiait la restauration du grand Courbet.
Et rappelons dans quelles conditions déplorables fut effectué ce travail :
- mauvais éclairage ;
- pas de possibilité de recul… ou de regard d’ensemble (élémentaire en artisanat véritable), après les premiers résultats d’allégement sur les vernis récents surajoutés au Louvre (en 1984, 85 et 86). « Décrassage » puis allègement modéré qui furent immédiatement suivis « d’un allégement prononcé » ; parlons plutôt d’un décapage… opération menée hors public, en local technique, (entre mai 2015 et avril 2016 ?) ;
- d’emblée non-respect de l’œuvre de Courbet, dans son authenticité visuelle, trahie par l’aspect « charbonné » ou « jauni », car officialisé par de mauvaises reproductions, etc.
Comme premier signe de cette politique, une autre restauration fit l’objet de l’affiche de l’exposition Gustave Courbet de 2007-2008 au Grand Palais. C’est un autoportrait du peintre, Le Désespéré ; tableau dans la tradition des têtes d’expression, voire dans l’atmosphère des fous, ou Monomanes de Géricault. Or cette métamorphose anachronique a-t-elle soulevé quelques réprobations de ‘spécialistes’ ou d‘experts’ ? Comment le savoir ?
– Si l’on connait qu’une certaine lumière projette son ombre logique en corrélation, on observe ici que le jeu d’interdépendance est juste dans le carré N&B de notre montage en-haut, mais globalement faux dans le N&B, détail carré en bas (état clair-obscur du visage après restauration). Nous voyons en bas à gauche, à la suite de cette restauration esthétique circonstanciée… que le différentiel visuel en technique numérique comparative révèle des soustractions effectives assez proches de l’effet d’une ‘image solarisée’.
– Avec ce précédent dans le travestissement d’une peinture originale phare, nous pouvions nourrir les craintes les plus vives à propos des ‘restauration esthétique’ des Courbet ; surtout si l’idéologie des « révélations » s’effectue au détriment des reprises et repeints autographes.
Ce rappel des conditions d’exécution de la ‘restauration esthétique’ des Courbet est révélateur. Dans les billets précédents, c’est donc la mort dans l’âme qu’il m’a fallu nettement souligner – preuves visuelles à l’appui – que les critères de mise en œuvre de l’opération « à gros budget » du M’O (avec une enveloppe générale de 600 000€) étaient dévalorisants, ou même pire, pour la peinture dont elle était censée assurer la sauvegarde, et que devant une telle confluence d’arguments douteux ou de diagnostics mal posés, aucune place n’était laissée à l’exercice de l’esprit critique individuel.
L’Atelier du peintre, après restauration, est-il encore le tableau finalisé par Gustave Courbet ? On peut en douter.
Toutefois, à la lumière des bougies du trentième anniversaire du musée d’Orsay, dans la rhétorique spectaculaire de la communication institutionnelle, et surtout, à travers le mirage élaboré par le savoir-faire des éclairagistes – c’est la grande illusion ! « Verra qui pourra » écrivait Courbet. Bien malin qui pourra ouvrir les yeux sur la réalité du désastre ?
Trois détails du grand Courbet montrant l’ensemble des personnages. Les deux images du dessous sont des éléments officiels du dossier de presse après restauration (capture d’écran de l’élément internet de Fr3» cf. liens). Ces illustrations paraissent induire qu’enfin « L’Atelier sort de l’ombre ». Sommes-nous dans l’approximation ou carrément le mensonge ? Si l’on compare avec l’image du dessus – représentation du même détail avant intervention –, et que l’on considère sa tonalité radieuse et dorée, alors il apparaît nettement que le résultat du travail de restauration est tout le contraire d’un gain de clarté et de ‘lisibilité’.
Nous observerons alors en nuances que c’est une déconstruction de la forme qui vient d’avoir lieu. Ce qui fondait toute l’originalité qualitative et spatiale de cette peinture nous a été comme dérobé. Il se pourrait que cet appauvrissement soit la conséquence des tendances actuelles de l’« histoire de l’art », devenue dogmatique, théorique et coupée du contact avec la Réalité des arts plastiques, et finissant par opérer en cet exemple parmi d’autres… au détriment de la Peinture elle-même.
D’où une nécessaire réflexion sur les mutations (ou déviations) spectaculaires qu’engendre notre ‘société du spectacle’, et sur la consécration de demi-vérités toxiques en lieu et place de l’authenticité (pourtant revendiquée par les musées) ; aboutissement inquiétant d’un travestissement des valeurs de l’Art ?
9) Contemplation des œuvres ou exploitation du gisement culturel
« L’œuvre qui doit elle-même descendre de sa cimaise, se farder à la mode, se rendre attractive, faire le mariolle devant le spectateur immobile et inactif (la télévision est passée par là) se perdra. L’astre qui tombe du ciel arrive sur la terre comme un commun rocher. » écrivait Raymond Mason, sculpteur-peintre, (cf. rétrospective au Centre Georges Pompidou, 1985).
« Nos métiers nous permettent de pouvoir dépasser la contemplation, de s’intéresser à la matérialité, d’observer les touches, la matière ». (11 :33) I.K., in : Orsay, chronique d’un musée (cf. vidéo).
Une telle formule nie les fondements même de cette discipline de la philosophie qu’est l’esthétique. Exaltées par « la Beauté faite exprès », les facultés de contemplation et d’émerveillement ont partie liée à l’idée de grandeur humaine. Il ne m’appartient pas de disserter sur ces questions capitales, mais il importe de souligner que l’opération pratiquée sur l’une des traces sensibles du « Qui sommes-nous ? » interroge sur le « Où allons-nous ? » d’aujourd’hui.
En l’occurrence, comment soutenir « pouvoir dépasser la contemplation » ? Celle-ci – approche à la fois émotionnelle, intellectuelle et intuitive de la réalité, élevant le contemplateur au-dessus du pur et simple raisonnement – est une dimension essentielle du rapport avec l’œuvre d’art, et s’appuie justement sur la matérialité même de l’œuvre, perçue et comprise en profondeur dans ses plus subtiles expressions. Prétendre vouloir « dépasser » la contemplation, c’est prendre le risque de transformer le regard en un simple instrument de dissection, et remplacer l’indispensable point de vue synthétique par une vision analytique réductrice.
A cet égard le dossier de presse matérialise une manœuvre : fonder un consensus visant à formater l’opinion publique.
Les promoteurs de l’opération y sont en situation de pouvoir sur la peinture et sur son image. Dès la consultation du dossier de presse actuel (en p. 3), la confrontation des clichés de l’ensemble du tableau avant et après restauration n’a de juste que le cartel de l’œuvre – bien au centre de la feuille !
Assurément cette imprégnation sensible est marquante. Voire ici, stratégiquement utile… Mais qui s’insurgera et dénoncera la fausseté de ces images, qui ne respectent pas la plus élémentaire honnêteté en matière d’art, la nécessité d’aller au plus près de l’original ?
Copie d’écran du dossier de presse p. 3 « Sachez que ce type d’informations est consultable sur le site du musée à usage de la presse »[sic]. Malheureusement, non encore en ligne sur le site du M’O pour le citoyen ayant le désir d’être informé.
Dans le billet précédent, nous avons mis en évidence, de manière concluante, certains manques de conformité des visuels officiellement proposés pour la promotion du projet ou à diverses étapes de la restauration. Venons-en au socle actuel de « la politique dynamique de conservation préventive et de restauration des œuvres d’art et sous l’impulsion du service mécénat… ».
Là également, on nous dissimule la réalité puisque tout repose sur trois degrés de compétences :
a) -les examens préalables du C2RMF
Bien que nos sociétés soient en principe libérées de l’obscurantisme, les examens préalables au travail de restauration ont été menés dans une ambiance de fascination générale et idéologique devant le ‘scientifique’ ou prétendu tel.
Dans le domaine de l’Art, aujourd’hui l’intimidation vaut loi. Et en matière de communication, il suffit d’évoquer avec autorité, par exemple, la numérisation d’une radio en rayons X, les artifices les plus sophistiqués de mise en évidence en réflectographie, ou les analyses de matériaux prélevés pour faire oublier l’élémentaire, et même escamoter le fondamental à propos du grand Courbet. C’est une peinture conçue pour l’outil le plus performant, le plus évolué et le mieux adapté qui soit pour l’homme : l’œil… plus le cerveau, la Culture, et la lumière naturelle (ou ses équivalences).
Par là même, voici en grande partie pourquoi – de façon abstraite et intellectuelle – les dossiers de presse évoquent avec insistance des examens emblématiques conduits par le C2RMF en collaboration avec des restaurateurs, et destinés à nous imposer leur point de vue.
Dès lors, pour le journaliste pressé et les médias télévisuels (France-info, Fr3, etc.), il va de soi qu’il convient de faire confiance…
Car qui oserait en demander davantage ? A quoi bon refaire les analyses à partir des mêmes sources, si nous sommes en ‘science’ ? Comment remettre en cause ces examens, si, procédant de fortes compétences conjointes, ils sont le résultat de « plusieurs mois d’étude, de collecte de données scientifiques et d’analyses » [sic] ? Mais ne serait-il pas plus juste et responsable en l’occurrence de parler de ‘données techniques’ plutôt que « scientifiques » ?
Or il peut aussi arriver qu’instruit du caractère éminemment empirique de la création artistique – cette pratique indissociable d’une constante remise en cause –, l’artiste « visuel » veuille contrôler le caractère réellement scientifique de semblables dossiers de « restaurations ». – Et L’Atelier du peintre n’est pas n’importe quel tableau !
Tout citoyen, plus ou moins en communion de sensibilité ou de valeurs émotionnelles avec Courbet, peintre qui de tradition d’atelier « étonne et ne se laisse plier à aucune des catégories françaises », doit pouvoir examiner le fond concret des choses. C’est-à-dire, percevoir sur quels principes reposent les prérogatives du C2RMF fort de ses prétentions à détenir le monopole de toute parole authentique et d’approche de l’Art pictural ; voire même d’induire à des idées nouvelles sur l’œuvre de Gustave Courbet… Or voici l’étonnant spectacle de transparence qui lui est offert :
En haut : poste de travail du C2RMF au Louvre, mis à la disposition du chercheur pour la consultation des dossiers numérisés. Le logiciel de recherche est fort mal conçu : d’une part, il ne permet pas de voir l’ensemble du tableau sans que les outils de navigation n’en occultent une partie ; ensuite, pour l’intellection des formes, le repérage visuel est difficile, chronophage et non ergonomique… – Allez comprendre pourquoi les données d’échelle et de taille du fichier s’affichent en pixels si lourdement sur l’écran, alors que les ektachromes source y paraissent sans charte d’échelle de gris et de couleurs ; ceci ne permet pas de pouvoir juger de la qualité d’interprétation relative de l’apparence… – Est-ce pour compliquer le rapport à l’imagerie numérique, ou carrément en dissuader le chercheur ?
En bas : poste de travail du C2RMF à Versailles. Dans l’ensemble des dossiers consultés, c’est la part belle accordée aux éléments écrits (que l’on se doit de retranscrire ou vérifier peut-être ?). Quant aux témoignages visuels, ils s’affichent à l’écran selon une apparence aussi fallacieuse que sur la plus triviale borne de consultation internet… Ainsi que ces documents en font foi (le 11 mars et 15 déc. 2015), les visualisations du Portrait du Roi François 1er sur écran bien réglé, à gauche avant restauration, au centre après restauration, et à droite même cliché après restauration sur l’écran du C2RMF laissent plus que perplexe… Comment se fait-il que dans des lieux si prestigieux, théâtres de tels enjeux patrimoniaux, aucune des images proposées sur les écrans de consultation, ne soient objectivement justes ou équivalentes (cf. pour le Portrait de François 1er) à l’aspect de l’original de Jean Clouet exposé au Louvre ?
Or sur de tels écrans, au C2RMF, toute étude un peu fine transforme l’œuvre visionnée en source fantomatique de complications et de vertiges… Y consulter les fameuses : ‘images numériques en infrarouge niveau de gris’; ‘images numériques en lumière infrarouge traitement en fausses couleurs’; image numérique ‘sous fluorescence d’ultraviolet’, etc., ne peut être hélas que très sommaire !
Vous désirez alors consulter les sources papier afin de vous faire une opinion authentiquement fondée. Car il s’agit de comprendre le pourquoi et le comment d’une intervention officielle sur un héritage collectif… Et l’on vous répond (si on daigne vous répondre !) que le dossier n’est pas disponible puisque traité au M’O où le tableau est en cours (cf. annexes du 2/4 & fin du 4/4). Car a-t-on seulement le bon sens de se rappeler que les photos peuvent exister en plusieurs exemplaires… et que les photocopies sont un petit plus depuis Gutenberg ?
Mais non, la révolution numérique est passée par là… En d’autres termes, si vous revenez à la charge en tant que chercheur ou citoyen, il se peut que face à votre extrême insistance on finisse par vous communiquer par internet un dossier expurgé ou dans un codage si parfaitement hermétique et étranger au domaine de la courtoisie numérique que vous pouvez tout imaginer…
Puis on subit le choc d’une information tétanisante : plus de 300 peintures sont traitées chaque année en restauration par le département. Il va donc de soi que les innombrables « découvertes nouvelles », grâce auxquelles la restauration devient une œuvre en tant que telle, outillée par le ministère au C2RMF, puissent engendrer des objectifs de publication et des contraintes de premières exclusivités (avec copyright, etc.). Que reste-t-il alors, sous la pression de tous ces enjeux, de la mission fondamentale des conservateurs et restaurateurs : le respect de l’œuvre ? – Et quel critique d’art ou journaliste spécialisé pourraient y voir clair dans cette entreprise où les tenants et aboutissants sont si complexes à démêler ?
Comme nous le voyons, il est infiniment plus facile de se contenter des éléments mis en avant par le Dossier de presse, de s’abriter derrière l’idée évidente d’une « Etude préalable » et de s’abandonner à la fascination pour l’analyse technique, la chronique insidieuse des « soulèvements récurrents ». Mais c’est attribuer aux ‘spécialistes’ une infaillibilité pontificale en matière de constat d’état pour le traitement des vernis. Notons au passage que le dossier inaugure un concept pour le moins étrange, celui des : « vernis qui se sont superposés »[sic] récemment par génération spontanée (en surépaisseur sur le Courbet).
Aujourd’hui, pour la liberté intellectuelle du chercheur et de l’amateur d’art, ne serait-il pas plus juste et scientifique de demander déjà aux écrans, et non aux œuvres, de se conformer au dogme et à l’exigence de lisibilité ?
Car il se pourrait que s’intéresser à la matérialité, observer les touches, la matière d’un tableau [sic] et y faire des prélèvements pour les examiner au microscope soit aussi aberrant et vain que faire l’analyse chimique d’un Beaujolais nouveau – avec projection de résultats – pour juger par exemple d’un grand cru Château Petrus. C’est vouloir comprendre la Peinture sans une prise en compte de tous les phénomènes subtils et interactions formelles ou décoratives… voire des murissements ou patines complexes : incompréhensibles… qui fondent l’harmonie artistique pour le Goût humain.
b) -les instances collégiales d’un Comité scientifique
La réunion de seize membres d’un « comité scientifique » est un fait tout aussi intimidant. Mais quel regard portent-ils vraiment sur le grand Courbet ? Est-ce sa destinée scientifique d’être un astre descendu de sa cimaise pour se farder à la mode, se rendre attractif, faire le mariolle devant le spectateur immobile et inactif ? (cf. citation ci-dessus).
– Soyons aussi érudit ! Dans son Journal, Delacroix, autre grand ‘regardeur’, exprime son étonnement et son admiration pour l’Atelier en ces termes : « Je vais voir l’exposition de Courbet (…). J’y reste seul près d’une heure et je découvre un Chef-d’œuvre dans son tableau refusé ; je ne pouvais m’arracher de cette vue. Il y a des progrès énormes (…). Dans l’Atelier, les plans sont bien entendus, il y a de l’air et des parties d’une exécution considérable : les hanches, la cuisse du modèle nu et sa gorge ; la femme du devant qui a un châle. » (cf. 3 août 1855, Journal).
Ailleurs, Delacroix loue le travail du colosse d’Ornans pour ses qualités de « vigueur extraordinaire », « de saillie » et pour les « liens » harmonisant les différentes parties de l’œuvre. L’ayant longuement regardée, il est impressionné par l’énergie picturale qui s’en dégage, et qui est l’un des mystères d’une œuvre réellement aboutie.
Dès lors, pourquoi le dossier de presse tient-il tant, par exemple, à formuler une restriction devant l’un des choix les plus inouïs de l’œuvre ? Et souligner : La faute « est que le tableau qu’il peint fait amphibologie : il a l’air d’un vrai ciel au milieu du tableau » ? (cf. p.4 dossier de presse). – Là même où Delacroix va percevoir, cinq ans plus tard, une extraordinaire percée : le signe premier d’un retour à la nature « proclamé par un homme inspiré ». Il relève que « le Réalisme est la grande ressource des novateurs dans les temps où les écoles alanguies et tournant à la manière, pour réveiller les goûts blasés du public, en sont venues à tourner dans le cercle même des inventions… » (Paris, 22 février 1860).
Or voici que l’attribution d’une autorité excessive à des propos d’historien d’art, à partir d’une citation incomplète sur la ‘faute’, a ouvert la voie à la restauration outrancière « d’un vrai ciel au milieu du tableau » et à de malheureux abus « l’espace retrouvé : La restauration a aussi permis de restituer l’effet » (p. 20 du dossier de presse).
Intellectuellement, dans ce cas comme dans d’autres, il serait profitable de savoir comment le débat, s’il y a eu débat, s’est déroulé ?
La consultation des comptes rendus du Comité scientifique pourrait permettre de comprendre la nature des échanges et les arguments de décision qui menèrent à cette conclusion : « En améliorant la lisibilité du tableau altérée par les couches de vernis superposés, jaunis et chancis, les repeints, les jus colorés et la crasse, en respectant l’histoire complexe de l’œuvre et dans le but de retrouver l’harmonie générale de la composition ».
Ce désir obsessionnel de lisibilité n’est-il pas à mettre en balance avec les risques matériels et esthétiques qu’il implique ? Le jaune, le doré, les jus colorés et la patine font corps avec l’œuvre originale…
Mais il se trouve que depuis le compte-rendu du 5 déc.1989 (annexe billet 1/4, 8 nov. 2016) concernant la restauration en public des Noces de Cana, les consultations de dossiers d’œuvres ne donnent accès qu’aux synthèses des décisions des commissions sur les fiches d’état. Et les rapports des restaurateurs ne permettent pas d’en savoir d’avantage, là même où grâce au verbatim, on pourrait lever l’équivoque sur le principe bien commode d’autorité.
A cet égard il est tout à fait intéressant de prendre conscience que la liste des membres du comité souligne leur fonction officielle et suggère qu’ils ont une formation intellectuelle analogue. Ils sont donc Un : ‘Juge et Partie’ (avec devoir de réserve?).
Aucune personnalité issue d’un autre horizon de pensée, choisie pour son expérience muséale ou son expertise artistique, ne figure dans ce Comité. A l’exception des deux restaurateurs (se substituant peut-être aux représentants d’une compétence absente, celle du regard plastique ?), leur mode de rapport à l’Art visuel repose essentiellement sur l’écrit, le catalogue, la mise en exposition et le sacré « scientifique » d’un cartel.
Et devant l’approche totale du discours sur l’image picturale… – rions un peu :
On peut y lire et relire !… lieu d’information érudite. « Pièce majeure » a remplacé Chef-d’œuvre. Même ainsi, la ‘lisibilité’ ne peut en être troublée…
c) -sur la part communiquée pour l’adhésion publique
D’abord, que de tests de décrassage et d’allègement des vernis pour en arriver à ça ! Après une intervention esthétique pour « retirer le vernis le plus récent » – ce qui pouvait suffire selon la tradition française et son éthique –, un deuxième passage s’est avéré, paraît-il, nécessaire pour ‘amincir’ « les vernis sous-jacents ».
Puis, non contents du résultat obtenu, après avoir largement touché aux jus colorés (du grand Courbet ?), les restaurateurs et le Comité scientifique ont jugé opportun d’y revenir encore. – Mais pourquoi cet interventionnisme toujours plus poussé que celui initialement prévu ?
Est-ce pour satisfaire la conservation, le public actuel, ou même aller dans le sens de la spectacularisation exigée par le besoin de retour sur investissement ? Car ensuite que d’efforts pour ne pas laisser supposer que… l’enfant a été jeté avec l’eau du bain :
Copie d’écran du dossier de presse p. 3 ; que d’équipements pour préserver l’opérateur alors que la peinture originale de Courbet est exposée aux solvants ! Assurément ‘de tous petits rien et des je ne sais quoi’ seront atteints. Et l’on prétendra, la bouche en cœur, avoir ‘révélé des usures préexistantes…’! Dans le meilleur des cas, nous dit-on, « le brunissement créé par les vernis a pu être limité » – Comment vérifier cette assertion ? Par les photographies témoins entre intérieur et extérieur du champ opératoire délimité en pointillé orange ? – Et que vient faire, aux côtés du titre « Phase 3 – Couche picturale » le visuel de promotion innovant ? (ici présenté de façon subliminale telle une publicité pour tablette internet ?).
Mais de quelle rigueur scientifique ce type d’images d’art peut-il se prévaloir ? Alors qu’il y faudrait les meilleures photographies !...
A l’extérieur, les surfaces témoins avant traitement sont éclairées de façon si peu professionnelle que des reflets inégaux rendent impossible tout jugement objectif. Il n’y a donc pas ici d’exigence sur cette part de l’irrémédiable du grand Courbet ?
Et aucune information de contexte ne permet de comprendre si le détail de la peinture provient d’un geste créatif horizontal ou vertical ; ce qui aurait donné la possibilité de juger si, au contact du champ délimité, des manques étaient perceptibles… Le détail végétal est-il un branche haute, basse, et pourquoi pas une algue, si on laisse courir l’imagination sur ce document mal contextualisé ?
N’allons pas plus loin dans le prospect et voyons un autre élément de propagande, car on ne peut réduire les jeux subtils de l’harmonie esthétique à une mise en évidence binaire de rectangles ‘propres’ dans une surface ‘sale’ et luisante :
Ci-dessus, copie d’écran du dossier de presse, p. 23 : Pourquoi nous inflige-t-on, entre états « Avant restauration » et « Après restauration », des cadrages aussi dissemblables et des degrés d’exposition, de saturation et même de netteté fallacieux ? Or la désignation « état après restauration » n’est même pas exacte, puisque la découverte de la pipe de Baudelaire est escamotée… (partie refermée après expérience !) ; ainsi que le bas de la robe après « réintégration »[sic] n’a plus cet accroc carré barbare de test « d’allégement ». Car que de volontarisme archéologique dans cette opération… – Et est-ce pour le bien du Courbet qu’une minuscule part des jupons blancs de Madame Sabatier paraît avoir été analysé par la ‘science’ des dessous ?
Pour le lecteur du dossier de presse, de tels manques de rigueur ou d’honnêteté dans la présentation des fameux « mystères » et révélations sont dissimulés par une apparence de crédibilité absolue…
C’est pourquoi les autorités muséales auront beau jeu après avoir démontré de manière spectaculaire (en N&B) que leur intervention était tout-à-fait fondamentale pour la conservation de l’œuvre, de soutenir « que le nettoyage a permis de modifier la vision antérieure de la composition en frise pour retrouver un espace plus complexe… ».
Et dans la mesure où elles ont fait réapparaître tel ou tel détail, ou un ensemble documenté comme Les paysans de Flagey, leur autorité s’en trouve confirmée.
Voilà pourquoi il paraît nécessaire d’utiliser une méthode plus rigoureuse de mise en évidence des caractéristiques réelles d’une surface picturale par un système expert, ainsi défini : technique numérique visuelle comparative. Analyses qui devraient permettre quelque autre lecture de la définition de l’image, une reconnaissance du visible, et la recherche de forme, dessin, valeur et couleur modifiés dans l’Atelier du peintre de Courbet par la ‘restauration’ qui vient de se conclure.
N.B. : Cet essai inédit d’analyses visuelles entre états est encore assez sommaire compte tenu des moyens dont je puis disposer ; les photographies d’avant restauration ont été dans chaque cas contrôlées en comparant diverses sources. Mes prises de vue après restauration ont été réglées au mieux, in situ :
10) – A Ouvrage de la « dernière main » de G.Courbet ?
En haut à gauche : un travail encore assez approximatif ; c’est l’état premier, la mise en place juste descriptive du sein gauche d’un modèle nu.
En haut, à droite : ici un ton clair montre comment s’esquisse la reprise. Il met en évidence une élaboration plus poussée, les ombres étant affermies pour mieux modeler les volumes, et renforcer la position du sein au creux du bras. C’est donc un travail d’ombrage avec reprises manifestes dans ‘un vernis à retoucher’ (jus teinté vraisemblablement) ?
En bas à gauche : ici mise en relief par une couleur de contraste (le jaune), la couche d’après : reprise en ‘demi-pâte et pâte’ pour les tons clairs dans un vernis doré ? C’est une modulation des volumes saillants… en nuances, glacis et dégradés, un travail créatif ajustant le tout pour assurer une meilleure diffusion de la lumière. Le choix plastique du Peintre étant de distribuer une clarté souveraine sur une carnation, pour rendre sensible une matière, un poids, une direction, parachever un ensemble enveloppant la forme naturellement, assurer l’assise clair-obscur donnant corps à la flexion du bras autour du sein !…
En bas, à droite : même à travers une ‘teinte chair’ relativement outrée (abstraite), nous voyons que l’accord ombre-lumière engendre un réalisme subtil, manifestant une discrète palpitation de vie. Remarquons les ‘veines bleues’, perceptibles sous cette peau délicate...
– Ainsi, en suivant ce parcours d’états successifs, plus qu’une évidente démonstration de l’ouvrage de la ‘dernière main’ de G.Courbet, c’est une idée de plénitude qui habite un tel sein.
« Prenez par la main un de ces amateurs d’art qui veulent demeurer réticents à l’égard de cette œuvre, amenez-le devant l’Atelier et demandez-lui s’il connaît un autre artiste de France qui ait peint, d’une pâte semblable et d’un mouvement égal, un morceau comparable à celui qui occupe le centre de cette étrange et magnifique composition. (…) Il n’y a pas, chez Delacroix lui-même, une pareille sensualité. Les dons de l’esprit s’y lisent à travers les formes. (…) Nulle part ailleurs, ce qui monte de la vie n’a su rencontrer ce qui vient de l’esprit de l’homme avec autant de puissance et de plénitude. On touche ici comme à l’équilibre fondamental de la création. (…) Qui osera s’insurger, en regardant ce morceau, devant l’évocation du plus peintre de tous les peintres ? » André Chamson, Les grands peintres célèbres, éd d’art Mazenod, 1948.
Ce détail du sein est emblématique des qualités fondamentales du Chef d’œuvre. On y perçoit l’essence même du travail créateur de Courbet, le mouvement magistral de sa conception plastique, son adresse à incarner, dans une pâte colorée, un état d’existence. C’est « la primauté du moyen employé par une volonté créatrice ». (idem)
Détail plus large sur le buste du ‘modèle-Muse’. A gauche : report de la surface carrée observée plus haut, ici en N&B. On y voit mieux que l’aréole et le mamelon sont dans un état de prédéfinition et que le sein paraît encore ‘concave’ alors que des veines bleues y sont dessinées. Notons aussi que, bizarrement, son gonflement se situe optiquement devant la main, le poignet et l’avant-bras ; remarquables aussi, les contacts et ruptures y sont relativement chaotiques en leurs ombres…
Par contre, considérons le modelé de l’image de droite, ci-dessus : Sous le bras nu, l’ombre portée est moelleuse, directionnelle et corollaire d’une belle distribution de la lumière. Le sein se définit ainsi en sa plénitude par un accent doux et clair, non sur le mamelon (comme dans les images aguichantes), mais au centre de son volume sphérique. Observons aussi que le regard et le sourire sont chargés de mystères, émotion intériorisée ou contemplative. Le sentiment d’ensemble qui se dégage de cette figure évoque ainsi plus qu’une « femme nue », une ‘Muse’ : allégorie réelle de « la Vérité ».
Etat 2 avant restauration Etat 1 - actuel après restauration
– Attention ! Le parti-pris de cette démonstration est autre que dans les illustrations précédentes. Car nous exposons l’état 1 - qui est hélas l’actuel ‘après restauration’- visuel à droite…
Or lorsque l’on scrute ces deux états N&B, on constate que l’image d’état après restauration, loin de représenter un gain objectif en « lisibilité » montre un appauvrissement effectif du jeu de clair-obscur, alors que Delacroix évoquait des : « parties d’une exécution considérable » dont « la gorge ».
Une telle perte de modulations, une régression formelle produite par la « restauration » ? – Est-ce possible ? Or nul doute que les promoteurs et les praticiens de cette opération proclameront, à leur habitude, que le Courbet amoindri par leur intervention « a dépassé toutes les espérances ».
– Affirmation qui s’accoquine fort bien à l’idée que tout ce qui a été retiré durant deux ans dans les cotons des restaurateurs n’était que de vils repeints « à purifier ». Comme le souligne le dossier de presse (p.13) : « Les repeints masquant les lacunes et débordant sur la peinture originale sont retirés. »
Il est donc à noter qu’en guise d’essai pour la démonstration pédagogique ci-dessus, nous avons fait le choix d’inverser la chronologie usuelle des états pour mieux en exprimer les caractéristiques. Les quatre premiers visuels de ce chapitre nous ont montré la construction progressive du sein dans la courbe du bras, puis nous avons comparé l’état ’avant’ et ‘après restauration’. Il est important de préciser que ces images virtuelles numériques, manifestant des étapes d’élaboration picturale, ne sont pas produites par volontarisme ou trucage, mais sont issues automatiquement de l’application de certains algorithmes, utilisables aujourd’hui en système expert. Il s’agit de faire coïncider deux images objectivement afin de les comparer et de démontrer les différences avant et après restauration. (cf. introduction à cet essai comparatif et billet du 2 mai 2016) Or selon ce ‘différentiel visuel en technique numérique comparative’, il apparaît que le pourcentage de différences globales entre images – surfaces reconnues comme distinctes – est de 55,82% pour les visuels étroits centrés sur le bras et le sein. Cette mise en évidence numérique, encore rudimentaire, est mathématique. Elle est calculée en plus ou en moins, selon les cas ; nous en reparlerons…
En l’occurrence, ce pourcentage définit ici une soustraction entre deux états picturaux. Dès lors, la déclaration ci-après, docte et officielle, paraît d’une prétention inqualifiable : « Voir aujourd’hui L’Atelier du peintre, c’est regarder un tableau proche de celui observé par les contemporains de Courbet. C’est un peu comme si le temps avait enclenché une marche arrière ! » (cf. vidéo : Conclusion de l’Atelier du peintre, France 3 - 13 décembre 2016). Autre affirmation qui donne le frisson : « Il a fallu deux années de patience et d’habileté pour débarrasser le tableau des vernis jaunissants et des repeints. Ces petites retouches des restaurateurs qui finissent par brouiller la lecture d’un tableau ».
Et si ces petites retouches et repeints n’étaient pas le fait des restaurateurs, comme nous l’avons montré plus haut… alors, c’est bien l’ouvrage de la dernière main, ce sont les traces du pinceau même de Gustave Courbet qui viendraient d’être effacées ? – Retirées à notre émerveillement ? Admettons toutefois que ce ne soit encore qu’une observation fragmentaire.
Néanmoins, les visuels ci-dessus, qui retracent la mise en place du jeu des ombres et des lumières, relèvent ici déjà d’un si haut niveau de complexité, de subtilité, voire de beauté, qu’il est déjà bien légitime de s’interroger. S’agit-il ici :
- d’un travail d’interactions formelles, donc d’un processus d’élaboration créatrice impliquant des retours, reprises et repeints du peintre lui-même ?
- de repeints ultérieurs, et que la photo de fluorescence sous ultraviolet produite par le C2RMF devrait montrer dans cette zone ?
- de repeints apocryphes, issus de restaurations anciennes, à éliminer, le cas échéant, car débordant et s’harmonisant mal avec l’original ?
Cette dernière hypothèse n’est guère plausible, vu l’ampleur du pourcentage relevé : en effet, il est infiniment plus facile pour un restaurateur soit d’intervenir de façon maximaliste, en recouvrant à 100% la zone d’intervention, soit de réintégrer une perte de matière, méticuleusement, de façon minimaliste, sur de bien moindres surfaces de débordement.
Il se trouve que seul l’Artiste créateur est capable – dans l’élaboration et la reprise de son travail et à un tel coefficient d’interactions avec l’existant – non d’appauvrir ou d’accommoder les restes, mais bel et bien d’enrichir avec toute la maîtrise voulue la complexité du jeu formel d’une sous-couche pour passer d’une « femme nue », à une Muse radieuse innovante… sans banalité, ni obscénité fausse.
Or il se trouve aussi que les images techniques produites par le dossier du C2RMF sont muettes à propos de cette zone.
Dès lors, avec ce premier résultat, il paraît juste d’affirmer, que :
– la dévalorisation esthétique du sein du ‘modèle-muse’, au centre de L’Atelier, superbe morceau de peinture, est un fait rationnellement avéré.
Prenons à présent un autre et plus vaste détail, peut-être assez significatif des transformations subies par l’œuvre dans son ensemble ; nous comparerons les états ’avant et après restauration’ par zones successives en corrélation :
– à suivre…
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