Système de conviction
Des amis me signalèrent qu'à l'occasion des Journées du Patrimoine 2016, sur France Culture, dans l'émission de référence : La Méthode Scientifique, du 15 sept., il a été question de « préservation du Patrimoine grâce à la Science ». Science et Art sont-ils : « ami /ennemi », « ennemi /ami », ou choses diverses ? Peut-être que ces moments JEP 2016 d’un ‘patrimoine’ célébré interpellent aussi sur cette question d’une actualité lancinante ?
Nous avions évoqué dans un autre billet, ce rappel : dans l’ordre de la Cité, bon nombre de Palais des Beaux-Arts du XIXe– début XXe exposent en leur péristyle, sur leur fronton d’entrée, des allégories de l’Art (avec palette et pinceaux, maillet et ciseau) pour évoquer l’imaginaire, le poétique, l’observation et le goût, l’ouverture du regard à la sensibilité ; et celles des Sciences (avec nature morte d’instruments divers du mesurable) pour le calcul, la physique, la chimie… Avant tout, une méthode de pensée à la conquête du monde réel et /ou de l’invisible, selon l’intelligence et la raison. Ce sont des représentations de deux des polarités majeures et culturelles de l’esprit humain et du sens.
La question de la préservation du Patrimoine architectural, d’un bâti plus ou moins agressé par les conditions extérieures, est un fait patent ; une nécessité véritable qu’il convient de pondérer parfois.
Culture-nature-pollution, etc. font effectivement l’objet d’observations, de compétences diverses pour la préservation, d’aptitudes de métiers nécessaires à leur maintien, à leur restauration. Lorsqu’il est question de rénovation et de continuité, le problème est peut être complexe au XXIe siècle : artisanale, savante, technique, voire plus ou moins technologique…
Que des scientifiques cherchent, au moyen des instruments dont ils disposent, à déterminer ou replacer dans le temps, dans l’espace, les matériaux naturels des origines – s’ils sont perdus – fait partie du génie humain moderne. Ceci ne fait pas l’objet de cet article ; pas plus, d’ailleurs, que lors de l’émission sur France Culture, le 15 septembre dernier. Allez comprendre pourquoi le sujet annoncé de la préservation est, à cette occasion, « hors cadre » !
De ce fait, le représentant d’un travail qui ne s’écarte pas de la nécessité concrète pour les Monuments historiques en France, fut en troisième position – servant de socle aux discours nettement plus ‘scientistes’ des représentants du C2RMF. Monsieur D.D. s’exprima alors dans la lignée de ces termes : « et nous (…) on restaure le corps, la partie externe… » (il est président directeur général d’une société spécialisée, dans la restauration de patrimoine bâti et de monuments historiques, en taille de pierre !).
Reste à savoir sur quel type d’autorité scientifique certains interviennent ou font intervenir fondamentalement et même systématiquement dans le domaine des arts visuels ou, plus précisément, de la peinture ? Assurément ce sont des fleurons du patrimoine ; ce sont nos trésors de l’Art. Et ils nous offrent ‘avant restauration’ certaines apparences de la Beauté…
Songeons à ce propos de Raymond Mason en préface d’Approche visuelle de la Peinture (éd. Les dossiers de l’Action culturelle, DMF 1983) : « Si on aime les œuvres d’art, si on songe par quel miracle elles ont survécu depuis la main de l’artiste jusqu’à nous, par quels vicissitudes, guerres, vols et trocs échappées,(…) ». Dès lors, trois questions subséquentes se peuvent ; ne soyez pas effarouchés :
1 - A quoi bon les livrer aveuglement à la Science ?
2 - « Préservation du Patrimoine grâce à la Science » ? Mais est-ce bien de la science authentique ? C’est-à-dire une démarche scientifique qui connaît aussi ses limites dans un champ donné, et sait se remettre en question dans des débats ouverts ?
3 - Ou bien plutôt, n’est-ce pas de la technoscience appliquée à tel domaine artistique, selon telles directives, correspondant à tels besoins (économiques, politiques) du moment ?
L’interventionnisme est devenu une mode internationale (à gros budgets), où toutes les œuvres d’un même peintre ancien sont soumises à examen périlleux, sur des laps de temps très courts (par exemple, pour préparer une exposition à grand spectacle). Elles sont comme raflées…
Une sorte de conviction s’est installée. Dit de façon un peu docte : On veut pratiquer une « restauration esthétique », jumelée à une guerre contre les « vernis oxydés et jaunis ». Les interventions sur les œuvres doivent purifier…
Cette « science »-là appauvrit ! Elle n’est pas amie de l’art visuel. Ses commanditaires sont dogmatiques et autoritaires. Ils ne cherchent pas à respecter les œuvres du passé, mais à moderniser l’ancien en quasi moderne, pour que les yeux habitués aux réclames de Coca-Cola puissent voir ce que l’artiste, vivant il y a plus d’un siècle, ne voyait précisément pas !
En principe, peintures, sculptures, etc., sont conservées à l’abri, avec quelques précautions pour permettre leur préservation. Elles perdurent, dans leur état de présentation, à cause de leur bel artisanat – car ce qui a été élaboré selon les règles de l’art est sublimement ‘naturé’ dans le temps, voire même, se bonifie esthétiquement, se patine… et se conserve le plus souvent, naturellement. – On devrait y ajouter : interdiction officielle d’y toucher (grâce aux gardiens chef et aux fonctionnaires d’obéissance) !
On dit que génération après génération, la transmission des ouvrages d’art pose des problèmes. En fait, peintures, sculptures, dessins, meubles, etc. furent aussi des biens culturels soit démodés, soit décalés par la norme et le goût ; les objets décoratifs sont d’ailleurs atteints d’obsolescence relative par l’apparition du style suivant qui les rétrograde.
Rappelons cependant que, grâce à l’attention de certaines personnalités de l’esprit des Lumières, telles Alexandre Lenoir ou Vivant Denon, les œuvres furent conservées méthodiquement, scientifiquement, artistiquement. Perçues comme un répertoire des formes, des témoins du passé étant arrivés jusqu’à nous. Restaurées et conservées essentiellement par ceux qui en partageaient le métier, la formation : artistes, amateurs, érudits, historiens, etc., en tant que traces de la mémoire matérielle et culturelle.
L’évidence s’impose d’elle même. S’il y a eu du vandalisme et des transformations, dans la plupart des cas, il ne s’agissait surtout pas d’altérer ou de trahir des objets de référence culturelle et d’étude. Ils sont le plus souvent préservés, conservés, plutôt que restaurés. Et au pire des cas, les moyens de restauration sont restreints. La Science des anciens ne disposait ni de la chimie lourde, ni du marteau piqueur, ni de la science de la bombe atomique !... Les moyens de restauration restaient aussi proches que possible des techniques « organiques » des peintres du passé.
Aussi lorsque Monsieur P.C. (conservateur en chef du patrimoine, précédent chargé de la filière peinture du département restauration du C2RMF) affirme, avec l’assurance acquise d’un homme vivant dans un système de consommation et d’obsolescence, que – « les tableaux ont été très souvent revernis et repeints, et revernis et repeints, avec un nouveau mélange par la force des solvants. Tous ces vernis se sont entremêlés en un amalgame très compliqué ». Or la consultation des fiches de santé des tableaux, dans les dossiers de restauration du Louvre, énonce le contraire de l’interventionnisme.
En effet, plus on intervient au-delà du « bichonnage » (intervention légère à la surface des vernis anciens) plus les restaurateurs doivent encore intervenir, avec des coûts exponentiels dont L’Atelier du peintre de G. Courbet est un exemple (hélas ceci fera l’objet d’un prochain billet du blog).
Autrefois, faut-il donc le rappeler, à quoi bon dévernir et décaper – sous couvert de ce qui est nommé aujourd’hui ‘allégement’ – s’il s’agissait avant tout de maintenir la part visuelle pour l’étude esthétique et sensible ? Epoque où La Science et l’Art sont encore en symétrie, j’y reviens ; entités respectables de part et d’autre de l’entrée du musée, j’insiste !
En l’occurrence, André Malraux va pouvoir relever aussi la nouvelle singularité du temps présent : « nous sommes les premiers à regarder les arts ennemis » ; ‘choses diverses’ et similaires pour Le musée imaginaire qui, à la suite des guerres et des fascismes, comparaissent pour leur génie artistique comme des sources potentielles de tolérance et d’amitié. C’est la meilleure des optiques d’une résistance issue du pays de la proclamation des Droits de l’Homme, celle du respect des diversités – celles de l’intégrité artistique avec des vernis, parfois originels, de teintes diverses, bien préservés – et avec des repeints et restaurations respectables…
Méthodes assurées, certes ! Ne pourrait-on pas aussi savoir, au C2RMF, que l’Art vit de mystères, mais aussi de besoins complexes inaccessibles : « Ennemi /ami », ou choses diverses ?
Réalisons bien que, si une forme est métamorphosée par des opérations « au cœur » (sous obédience scientifique), les dites « restaurations » risquent fort de pouvoir répondre – trop amicalement – au goût du jour (propice aux manipulations) ; situation fondatrice des conditions d’appropriations possibles, d’altérations esthétiques… et de glissements de sens ou de climat.
– Ah ! pur savoir… – Non seulement en science-technicienne, voire réductionniste, mais actuellement, avec des « restaurations » sur les Léonard de Vinci et le grand Courbet, il est à craindre qu’elles soient prises à défaut d’intelligence de la main au domaine des Arts visuels !?
– Néanmoins, sourions encore :
« Tout est art ? » = tout têtard… dit la grenouille qui « veut se faire aussi grosse que le bœuf » ! En haut : « PATIENCE PASSE SCIENCE » jeu de mot subversif ‘naturé’ de fleurs de 1797, armoire neuchâteloise, peinte comme un chef d’œuvre d’artisanat suisse alémanique, restaurée en 1944 par C. Bourquin. En bas : subversion d’aujourd’hui, slogan Ben d’une exposition au musée Maillol. La rencontre des jeux provocateurs est facile, « mais l’Art est difficile ». Hors de la main à l’œuvre, forte de son intelligence qualitative particulière, il n’y a guère – pour certains – d’interrogation véritable.
Il me semble qu’Art ou Science peuvent rayonner, s’inspirer, voire se nourrir, s’aider en tensions fécondes, tant que l’estime de soi et de son identité dans un domaine spécifique s’affirment avec méthode, avec noblesse, selon leurs champs propres et respectables.
Assurément, elles sont amies, fraternelles et complémentaires jusqu’en 1905… (moment révolutionnaire de la nouvelle conception de l’espace et du temps introduite par A. Einstein). Art et Science ont même des effets miroirs l’un sur l’autre. Mais attention aux glissements complexés et négatifs non respectueux d’un domaine sur l’autre ! Donc… – à suivre…
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La Méthode Scientifique, du 15 sept 2016 – France CultureAlexandre Lenoir, exposition Louvre Vivant Denon, histoire