‘Restauration’ ?
au musée d’Orsay : L’Atelier…
Chap. 3/3
Façade du Musée d’Orsay. Peut-être avez-vous vu cette affiche côté Seine, ou les tracts assez peu réalistes… (déposés jusque chez nos marchands de fournitures pour Beaux-Arts) ? En 1920, à propos de ce chef-d’œuvre de Courbet, la France s’est réunie sur une souscription (pour le musée du Louvre)… Le détail de ce tableau est l’emblème de notre vie – entre deux mondes – ceux que les peintres donnent aussi à voir ! Or le tableau est maintenant, comme sur l’échafaud, en cage !...
7) « Participez à la restauration sur… Les donateurs bénéficieront d’une réduction d’impôts de 66% du montant du don et de contreparties exceptionnelles, accès privilégiés au sein du musée, rencontres avec des experts, présentation de la restauration, visibilité de leur nom aux côtés de l’œuvre… »
Certes, la législation présente des impôts est ainsi faite qu’il paraît normal de renseigner tout contributeur des compensations apportées par l’Etat à la suite d’un don. Il me semble que lorsque l’on pense les choses non pour soi, mais dans une idée de ‘vie durable’ comme l’art, peut apparaître plus nettement aussi le : donner/recevoir et rendre… – noblesse d’un sentiment généreux !
Tout jeune encore, j’en avais parlé avec Jean-Gabriel Clayeux, le concepteur de la dation (cette formule de don des héritiers à la communauté humaine, au musée, plutôt qu’aux caisses de l’Etat français). Lors d’une visite au musée du Louvre où il m’explicitait aussi, médusé devant le résultat des dévernissages, à quel point les conservateurs peuvent user de dialectique distrayant de l’essentiel d’un regard qui serait le vécu de la formule : donner/recevoir et rendre.
Ainsi qu’affiché sur le panneau d’annonce au M’O : « Les donateurs bénéficieront d’une réduction d’impôts […] de contreparties exceptionnelles, d’un accès privilégié… etc. » mais deviendront aussi adhérents ‘complices’ d’une intervention disproportionnée.
Il faut bien voir que les arts du regard engendrent aussi plus que de l’orgueil, une vanité juste et belle : la vanité généreuse. Celle qui n’a rien à voir, assurément, avec celle d’un billet retour de déduction d’impôt à 66% (avec petit privilège de VIP et ‘indulgence’) ! En 1920, tout cela était-il nécessaire pour motiver un vrai don pour l’art ? Il est certain que Courbet représentait un élan utopique de la constitution des mentalités françaises !… Mais il se peut aussi, dans le cas de cette intervention sur Le Courbet, que les contreparties doivent paraître si importantes que nous vivons ici, peut-être, un glissement du sens du don ? Remarquons par exemple que la France est encore le pays du don généreux du sang et des organes au nom d’un partage. Dommage pour l’art qui est lié aux valeurs humaines de la République !
8) C’est à l’occasion de l’exposition 7 ans de réflexion. Dernières acquisitions rendant hommage aux rencontres heureuses de trois dimensions : créativité inouïe des artistes du XIXe ; collectionneurs/donateurs ; et tact de certains conservateurs (en empathie avec les visiteurs, amateurs d’art) ! que j’ai eu la volonté d’intervenir dans la fastueuse Salle des fêtes du M’O… La veille encore j’étais allé goûter cette ‘part ardente de la réalité du monde sensible chez Courbet’ :
« Monsieur le directeur, je vous remercie de m’accorder quelques instants devant le public d’amateurs d’art et de responsables de la politique culturelle du Musée d’Orsay ici présents.
Je m’appelle Etienne Trouvers et m’adresse à vous en tant qu’artiste visuel, peintre et donateur.
Mon aïeule, Henriette Grandjean (1887-1968) a été pionnière dans le Style sapin, à La Chaux-de-Fonds, en Suisse ; j’ai été honoré lorsque Monsieur Philippe Thiébaut a bien voulu faire accueil à son talent d’artiste de l’Art nouveau. Elle est la première femme suisse au musée d’Orsay.
En 1992, en tant qu’artiste, je me suis senti le devoir de fonder avec Jean Bazaine et un comité prestigieux de plus d’une centaine de personnalités dont : Rémy Aron. Balthus. Paul Baudiquey. James Bayle. Jean Bazaine. Princesse Laure de Beauvau-Craon. James Beck. René Belletto. Alain Besançon. Alain Blondel. James Bloedé. Yves Bonnefoy. Jacques Bony. Alain Bosquet. Maurice Breschand. Robert Bresson. Pierre Bulloz. Pierre Cabanne. Elisabeth Caillet. Jean Cardot. Pierre Carron. Edmonde Charles Roux. Christo et Jeanne-Claude. Louis Clayeux. Julien Clay. André Comte-Sponville. Alessandro Conti. Jean Courthial. Leonardo Cremonini. Jean Dasté. Christine de Guerville. Catherine de Seynes. Michel Deguy. Jean Delannoy. Jean Desailly. Deverne. André du Bouchet. Georges Duby. Jacques Dupin. Henri Dutilleux. Jean Dutourd. Georg Eisler. Jean-Michel Folon. Georges Formentelli. Marc Fumaroli. Julien Gracq. André Green. Jean-Pierre Greff. Simone Gröger. Luigi Guardigli. Carlo Guarienti. André Heinrich. Jean- François Jaeger. Georges Jeanclos. Jacques Kerchache. Pierre Klossowski. François Lallier. Marc Le Bot. Pierre Le Cacheux. Philippe Leburgue. Jean Leyris. Pierre Leyris. Gérard Macé. Daniel Marchesseau. Raymond Mason. Gregory Masurowski. François Mathey. Yehudi Menuhin. Judith Miller. Philippe Noiret. Maurice Novarina. Clémentine Odier. Olivier O. Olivier. Geneviève Picon. Christian Pouillon. Henri Raynal. Maurice Rheims. Marc Riboud. Paul Ricoeur. Claude Roy. Charles Sacchi. André Sarcq. Toti Scialoja. Claude Simon. Marcel Siret. Pierre Skira. Gustave de Staël. Sam Szafran. Lap Szé-to. Jean Tardieu. Jacques Tiné. Jean-Max Toubeau. Etienne Trouvers. Paolo Vallorz. Xavier Valls. Vieira da Silva. Jean-Noël Vuarnet. Guy Weelen. Zao Wou Ki. Fred Zeller... l’Association pour le Respect de l’Intégrité du Patrimoine Artistique, dite l’ARIPA.
Personnalités qui, après d’infructueuses tentatives de dialogue au sujet de la restauration en public des Noces de Cana au musée du Louvre, se sont réunies sur un texte d’appel intitulé Le patrimoine dévoyé ? Or cet appel demeure d’actualité au regard de l’avis de participation lancé par le Musée d’Orsay à la restauration « en plein cœur du musée d’Orsay » de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet.
Je me souviens avoir posé publiquement cette question à Gaëtan Picon : « Monsieur le professeur, à qui appartiennent les œuvres d’art des musées ? ». Sa réponse fut lapidaire : « A ceux qui les regardent ! »
Je suis allé voir ce qu’il en était dans la très belle salle Courbet voulue par Monsieur Guy Cogeval. Dans cet éclairage et avec les murs teintés en violet-aubergine-sourd, le tableau de 22 m2 acquis par une souscription publique en 1920 a certes gagné en visibilité… Il ne pouvait en être autrement puisqu’ il a été victime de deux sur-vernissages successifs au musée du Louvre.
En juin 1984, dans des conditions inadmissibles pour sa conservation, la texture du travail ‘du plus peintre des peintres’ a été noyée dans un magma de résine, de crasse, de poussières, d’embus et de coulures…
En mars 1985, il y a eu reprise avec d’autres couches superposées de vernis ; le tableau en est sorti brillant comme un sou neuf. Le Résumé des interventions depuis 1934 signale qu’en « 1989, un examen de l’œuvre mettant en évidence une fragilité dans l’adhérence ne nécessitant pas pour autant une intervention d’urgence mais signalant des godets sur la toile (par exemple, visible encore ci-dessus) et préconisant une retension de la toile ». Or pour aplanir les coulures ‘laissées’ (et sèches), n’ai-je pas vu l’ouvrier ‘restaurateur’ tentant d’atténuer les choses au moyen d’un instrument exerçant une pression, à chaud, sur la face peinte de la toile, à travers des morceaux de feuilles de plastique (?). Se peut-il que cette sorte de bricolage dans les salles, en public, ait fragilisé encore l’adhérence de la couche picturale au support ?
Aujourd’hui, j’ai le regret d’informer les personnes décisionnaires et le public des visiteurs que, déjà les ‘fenêtres d’allègement’ ouvertes jusqu’à la texture picturale sur la robe rose au sol (donc au centre, dans le colorant de l’œuvre et le foyer chromatique du tableau) peuvent être fatales ! Conforme à l’esprit du temps, elles semblent davantage destinées à séduire le visiteur pressé de consommer, plutôt que celui animé par le désir et le scrupule de véritablement regarder.
A mon passage du dimanche 30 novembre, j’ai eu l’extrême déplaisir de constater que de nouvelles fenêtres d’expérience ont été commises par le C2RMF, sous prétexte de scientificité. Sur le tableau de L’Atelier du peintre de Courbet, elles font singulièrement penser à un tableau de digicode de 8 à 10 étages de nos immeubles urbains. – Bonjour Monsieur Courbet, ouvrez la porte !
« Je suppose que le tableau est verni : c’est là le plus grand inconvénient. S’il faut le dévernir pour le retoucher, à mes yeux c’est un tableau déshonoré. On regarde un dévernissage comme une chose légère : c’est le plus grand inconvénient ; je préfère bien un trou dans un tableau. » Eugène Delacroix
On peut estimer un certain allègement des vernis successifs raisonnable. Mais si cette intervention se poursuit sur des concepts aussi peu picturaux que celui de la « lisibilité » en s’attaquant au métier complexe qui comprend forcément des « jus colorés » dans l’art pictural de Courbet, elle illustrera dramatiquement l’angoisse d’Auguste Rodin, et de nombre d’autres artistes et amateurs d’art après lui : « Encore quelques années de ce traitement du passé par le présent meurtrier, et notre deuil sera complet et irrémédiable. »
9) L’Atelier du peintre, ‘allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique, et morale’ (titre complet du vaste tableau par Courbet) !
Admettons que « La restauration soit pilotée par un Comité Scientifique composé d'Experts (…), conservateurs du patrimoine, restaurateurs ». En principe, cet organisme est ‘pluridisciplinaire’ et se doit d’être équilibré dans sa composition vu l’enjeu. Même par de tous ‘petits détails’ (souvent définitifs), lorsqu’il s’agit de statuer en terme de pouvoir sur le sort esthétique des œuvres d’art, nous sommes dans le fondamental et le patrimonial artistique. Or quelles sont les familles d’esprit qui devraient être représentées ?
La maintenance des collections ; l’érudition historique ; les praticiens restaurateurs ; les chercheurs en sciences dures pour leur complément technique ; et les impératifs financiers de l’administration muséale. Et, naturellement au comité, pour équilibrer tant de données plus ou moins abstraites qui opèrent, on s’attend à trouver à équivalence de qualité, quelques grand collectionneurs indépendants et gens de goût ; mais aussi pour le complément de compétence vécue de la création, de sensibilité et d’intuition, des artistes visuels.
Or, dans les années quatre-vingt, en interrogeant des restaurateurs, et en insistant beaucoup… je fus informé « qu’en remplacement du peintre André Masson, un abstrait avait été nommé ; mais qu’il était vieux et ne venait jamais aux commissions. » Ils en déduisaient donc que la question de la pérennité des œuvres anciennes de notre patrimoine n’intéressait nullement les artistes vivants.
Quel ne fut pas mon étonnement de découvrir incidemment que le peintre nommé et absent était Jean Bazaine, le co-fondateur de l’ADVF (l’Association pour la Défense des Vitraux Français) en 1976 !
La rencontre de BAZAINE me fut facile, tant la probité de l’homme était grande. J’appris alors que Jean Bazaine, seul peintre nommé, avait démissionné en 1975, car « son utilité au ‘Comité scientifique’ lui paraissait pour diverses raisons (modes de concertation, rapports de forces) parfaitement illusoire ».
Bizarrement, sa démission, toute en protestation diplomatique, avait été ‘égarée’ par l’administration… Grâce à sa considération, commença un travail de Titan : réunir tout ce qui pouvait compter comme conscience esthétique vivante et de diverses disciplines artistiques et familles d’esprit afin de témoigner pour l’honneur des œuvres et de la profession, faute de moyens juridiques d’action.
On se reportera utilement à l’ensemble de révélations et d’observations consignées dans les numéros de ce combat mené pour l’honneur : « CHRONIQUE D’UN SACCAGE, La restauration en question », éd. Ivrea, 1999.
10) Le conseil scientifique du C2RMF qui vient de « statuer sur la pertinence et la nécessité ou non d’une éventuelle intervention ainsi que sur sa faisabilité », est composé depuis janvier 2013 de sept membres de droit et de onze personnalités qualifiées nommées pour cinq ans.
« On ne ressuscite pas un tableau, et moins encore une statue. On les laisse en paix et on les défend contre les hordes de vandales – dont il se pourrait bien que l’on fasse soi-même partie. » Joseph Brodsky
Dans l’idée d’y comprendre quelque chose j’ai demandé l’accès au tableau avant que les travaux effectifs ne rendent la chose irrémédiable, et attends toujours une réponse de la conservation du musée d’Orsay. J’ai aussi alerté mes pairs puisqu’il paraît évident que nous sommes aussi le public concerné par le sort des grands peintres dont nous sommes héritiers.
Mais côté musée, on conserve évidemment les même recettes à l’égard d’autrui : là où il y a évidemment matérialité du pictural, on va vous expliciter « Les dessous de… » (par vidéo et en mots !) ; là où il y a mystère du visible – peinture/ couleur/dessin –, on met des radiographies comme merveilleuses ! (s’autorisant ainsi une mise à nu des tableaux !) ; là où il y a respect et admiration de la création artistique d’individus supérieurs, on communique pour le prestige et ses pairs, et essentiellement aux journalistes spécialisés, qui devront… Mais on ne répond que contraint par la CADA au devoir administratif de transparence (en France, en démocratie !).
En septembre 1992, nous lancions avec l’appui actif de Jean BAZAINE un texte d’appel : LE PATRIMOINE DEVOYE ? Avec l’accord du directeur des Musées de France d’alors, une association compétente allait pouvoir proposer une suppléance à la présence de Jean Bazaine en Commission.... Mais il semble aujourd’hui encore que le M’O préfère, aux artistes vigilants et aux personnalités d’intelligence sensible et critique, être entouré d’ambassadeurs partenaires ou d’étudiants issus de formation en communication et marketing ; une liste de 25 noms d’entités à logo, dressée par le musée aux côtés du Courbet pour cette opération, en fait foi… (VIP, peut-être ici dans une idée relativement spéculative ?).
A présent au musée, est-ce la communication qui doit donner le : la et la force des choses ? On remarquera d’abord que ce sont les restaurations précédentes et les transports événementiels récents du chef-d’œuvre qui ont fragilisé la peinture (après le rentoilage de 1934), d’où une ‘nécessité’ toujours plus fréquente de nouvelles interventions à la suite du ‘vernissage total’ de 1977 dans les salles Mollien du musée du Louvre. Témoin à l’époque où je menais des copies d’étude, les trois interventions de 1984, 1985 et 1986 m’ont laissé plus que perplexe !...
Aujourd’hui dans la vidéo en ligne, la conservation du musée d’Orsay incrimine ainsi : ce tableau monumental a été « conservé roulé dans l’atelier de Courbet, mais il a été déroulé, re-enroulé à plusieurs reprises car il a été exposé à Bordeaux, puis à Vienne en Autriche. (…). Et les restaurations successives vont en améliorer l’état mais aussi créer une sorte de dégradation de la lisibilité de ce tableau en raison des couches successives qui se sont superposées. »
Est-ce pour gagner « en lisibilité » ou en ‘visibilité’ ? – Concept de lecture rapide, mais impropre à la lecture délectable ! Et à la conservation des facultés des regardeurs !
Sous couvert d’un dossier scientifique du C2RMF, sur cet Atelier du peintre, se dirige-t-on à présent vers une ‘visibilité’, « aventure exceptionnelle et novatrice », mais pour la ‘com’ du M’O ?
Car si cette ‘restauration’ se poursuit, non en allégement modéré des vernis récents, mais en dévernissage – comme le laisse nettement percevoir certaines des fenêtres effectuées dans la peinture – ce sera forcément réduire le chef-d’œuvre… à l’image appauvrie que certains s’en font ; et assurément ce serait encore ici un ‘pictocide’. – Et quel amateur d’art ou donateur averti peut y consentir ?
Etienne Trouvers
France tv info : laboratoire du Louvre Le Figaro, 3 déc. 2014