L’Atelier du peintre du M’O 2/4
Précédemment, nous avions observé que, sans recul, sans possibilité de regard d’ensemble, il n’y avait ni prise de distance travail /regard suffisante (le restaurateur lui-même n’a pas eu de recul) ; ni visibilité sur un tableau mal éclairé, tant sur le plan optique, spatial que mental…
Il est question de « retrouver l’éclat perdu, la lisibilité, etc. ». Observons maintenant un certain nombre de réalités occultées par la politique conjoncturelle des musées.
Nous vivons à un moment déjà évolué de l’imagerie numérique… où la reproduction d’un tableau – en haute fidélité – est devenue possible. Or, devant la cage vitrée comme sur le net, en guise d’expérience de la restauration, en lieu et place de la peinture, c’est une proposition virtuelle et numérique qui est offerte au visiteur : celle « de découvrir “les dessous et mystères du tableau” grâce à la réalité augmentée ».
Nous observerons cet exemple. A partir de cette animation ludique, innovante ou évènementielle, quelle place effective est faite pour l’esprit critique quand il se trouve exposé au pouvoir dissolvant d’autres intérêts ?
2) Depuis le projet originel (d’avril 2013)
Voici quelques éléments illustrés et réflexions : « après 18 mois d’études préalables [essentiellement] scientifiques », on s’appuie sur une décision « unanime » (au 24 juin 2014) qui, de fait, assoit d’autorité… l’opération de restauration.
Ils sont seize membres officiellement « compétents » pour remettre sur le métier ‘le grand Courbet’ (en l’absence du peintre !), puisqu’il s’agit : « de sécuriser le tableau d’altérations [et…] d’améliorer son état esthétique, sa lisibilité »[sic].
Même sans a priori c’est, craignons-le, certitude absolue contre opinion critique… S’il convient de bien noter la bonne volonté opérante, il faut observer aussi des indices bizarres… (cf. chapitre précédent), méthodes riches de situations à risque, surtout si le tableau n’est pas bien éclairé globalement !
Assurément, nous ne contestons pas que la restauration soit une ‘mission’ fort périlleuse. Pour cette raison elle est confiée à un corps d’élite que nous respectons par ailleurs (ils ont diplômes, reconnaissances sociales, fonctions et titres, etc.).
Nous sommes dans un musée de prestige international, de haute qualité, avec sa « fête du Trentième anniversaire du musée d’Orsay ». Un lieu devenu de plus en plus superbe ces dernières années !… (et dans lequel une part du travail d’Henriette Grandjean-Bourquin, ma grand-mère maternelle, a l’honneur d’être présenté en Art Nouveau, cf. lien intertexte).
Mais, pour faire bref, remarquons aussi que les conservateurs – avant tout érudits en histoire de l’Art – font appel à des restaurateurs, ou dits « conservateurs-restaurateurs », qui sont des praticiens, respectant peut-être les valeurs culturelles, historiques, esthétiques, voire éthiques, mais intervenant de plus en plus souvent, par application, sur les fondamentaux des œuvres d’art.
Or il semblerait que, dans la logique de certains projets « en restauration esthétique », d’autres contraintes puissent s’introduire.
A l’observateur du phénomène, ceci peut apparaître comme le signe d’une politique inquiétante. C’est donc ce que nous allons examiner, non par plaisir du risque fou, du courage ou de l’audace, mais par devoir citoyen.
3) Au sens figuré, prenons quelque recul :
- « Sécuriser le tableau » de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet. – Soit ! Car quoi de plus naturel à notre époque (où nous vivons avec Vigipirate).
- « D’altérations » a dit le comité de ‘spécialistes’. – Peut-être ? – Voilà qui se discute objectivement, en mesurant les responsabilités antécédentes au musée du Louvre et la complexité de vernis qui en découle…
Mais – « d’améliorer son état esthétique ». – Alors là, Oups ! dit le peintre, le collectionneur attentif, et tous ceux qui ont ‘la primauté du fait pictural’ en leur conscience, comme un principe de civilisation humaine !
Quant à « la lisibilité du tableau » qui est une des normes actuelles (en tout)! ― Comment définit-on ce concept étranger au domaine de l’art pictural, selon des qualités autres que subjectives… Ce qui conduit à poser la question du degré de confiance à accorder en l’infaillibilité pontificale du C2RMF !
Détail avant restauration : Courbet signe en terre d’ombre, non seulement sur une couleur ‘terre de Sienne’ naturelle, mais aussi sur un ocre d’or (exemplaire !). Mais pour l’émerveillement du public, le musée d’Orsay propose une animation ‘magique’ sur L’Atelier du peintre au M’O (et sur internet), de la poudre aux yeux, pour dire et faire vivre en des termes très édulcorés la réalité d’un possible pictocide ?
4) Premiers résultats, en aveugle
Sans autre référence d’ensemble ou correspondance, commençons par regarder un vaste document étonnant.
Puis dessous, un détail saisi le même jour manifestant aussi, semble-t-il, la perte des valeurs d’antan, dans cette œuvre d’un artiste célèbre, Peintre Réaliste et militant. Une toile qui est un miroir des paradigmes de son époque :
-Démonstration ? -journée de travail en cours ? -d’où… ces délimitations en pointillés blancs ?! Photo réalisée le 11 janvier 2015 (partie gauche de L’Atelier du peintre du M’O), à la suite d’un degré d’allègement déjà avancé… Or, il peut apparaître que l’on touche effectivement aux éléments subtils et glacis de la peinture à l’huile ‘mise à nu’, voire écorchée ? – Peut-être touche-t-on ainsi à l’original de Courbet ? Puis, selon le dogme coutumier, on soutiendra que, grâce à ceci, enfin, nous sont révélées les traces de repeints ou d’usures anciennes ?… – Mais de quel restaurateur bien avéré ? – De quand ? – et pourquoi cela ?
En haut : photo couleur d’un détail de Lazare Carnot ou ‘Le républicain’. Le 5 est un grand test de dévernissage ; mais déjà aux alentours, le timbre de température de la couleur a perdu de sa saveur, donc du jus de l’achèvement pictural. – Remarquons aussi que la lanière de cuir est déjà mangée par la ‘restauration’ ; elle perd sa continuité et sa trace, en son dessin clair-obscur.
En bas : en N&B, il apparaît également que des tons moyens et des obscurs ont été dissous... – Donc, dans le meilleur des cas, ce sont des repeints apocryphes… qui devront être « réintégrés », curieux travail de Pénélope ?! ― Observons par ailleurs : les pointillés délimitant les sections d’allègement sont sur des marges plus foncées (entre deux états témoins de travail), là où les vernis posés en 1984 et 1985… ne sont pas encore réduits.
Qu’en est-il pour le public visiteur ? Pour la Télé ou un reportage, on trouvera toujours quelque touriste honoré d’être interrogé, enthousiaste, s’émerveillant « en supporter »(sic). En vérité, cependant certaines personnes furent choquées. En émoi, malgré le déni et le refoulement de l’impensable, tourmentées… elles frappent parfois sur la vitre, s’enquièrent. Telle cette anecdote vécue, un adolescent demandant naïvement à l’agent de surveillance présent : – Madame, pourquoi ne demandez-vous pas à ces gens-là [dans l’enceinte vitrée] de ne pas toucher au tableau ?
Effectivement, à ce stade du décapage des vernis, l’observateur peut émettre des doutes !... A quel mythe doit-on rattacher cette volonté d’éternelle jeunesse ? S’agit-il :
a) - d’une quête d’outre-tombe des ‘conservateurs-restaurateurs’ pour « retrouver l’état originel de l’œuvre [dans l’idée que] les couleurs ternies peuvent retrouver leur éclat perdu »(sic) ;
b) - d’un complexe d’aveuglement du C2RMF dans ses tentatives pour voir, comprendre et appréhender le génie de la peinture ?
Mais cette démarche qui opère par application, sans autre résistance que la part solide de la matière, respecte-t-elle la primauté esthétique d’une telle Peinture ?
5) Suite à l’in-exemplarité ?
Remarquons toutefois que l’on ricoche de paradoxes en paradoxes ! Les clichés ci-dessus en sont-ils des indices ? Puis on s’aperçoit d’une mise à nu ― voire d’une mise à cru. D’évidence la matière picturale semble ressortir fragilisée sous les effets du mélange de solvants et de la solubilisation des glacis et des vernis ; le tout réalisé, effectivement… d’un geste délicat… au risque d’accroître les décollements ? ― Certes, on ne peut dire, mais ces phénomènes laissent perplexe.
Alors qu’il est interdit de prendre photo à l’époque, sous certains angles du regard, des outrances, voire des décapages, peuvent être aperçus.
Gustave Courbet « l’homme qui a peut-être porté en lui la réalité du monde sensible » (André Chamson), et qui s’adresse par la matière aux regards, risque d’être trahi à tout jamais par une « restauration » peut-être abusive. Comment, dès lors, ne pas faire de demandes d’accès au chantier afin de donner un sens à la souffrance ressentie ? (cf. PDF annexe). Mais on se heurte à des fins de non-recevoir.
A ce moment de l’opération, force était de relever que nous étions confrontés à ce qui devrait rester du domaine de l’impensable pour l’œil humain. Or tout effet esthétique est aussi tributaire d’une justesse d’éclairage adéquat et d’un certain temps de regard pour restituer la sensation d’un état de vie. Ce sont là les conditions fondamentales et qualitatives pour la perception du regardeur.
Mais, dans le principe même de l’allègement et de la restauration, il se pouvait que les conditions de travail comme « sous scialytique » soient destructrices d’une autre vision que celle du détail fourni par la feuille de route ?...
Illustrons un phénomène d’objectivité relative par un exemple optique :
« La tonalité varie avec la saturation [lumineuse]. Une écorce d’orange et un morceau de chocolat éclairés par la même source lumineuse apparaissent respectivement de tonalité orangée et marron. Si on éclaire vingt fois plus la tablette de chocolat que l’orange, les deux objets ont alors le même aspect chromatique. (…) On explique cet effet par l’augmentation de la quantité de blanc diffusé par la surface du chocolat sous un éclairage intense. La saturation diminue et modifie la tonalité en faisant disparaître la couleur marron. » in : Visions des couleurs et peinture, Pr. G. Perdriel, Ophtalmologue, p.15, DMF, Action éducative, 1990.
Avec le grand Courbet, c’est la perception des couleurs (pigmentaires et bien éclairées) qui intéresse particulièrement le regardeur, et non « les dessous et mystères du tableau ».
Puis-je évoquer une entreprise équivalente et concrète d’in-exemplarité, la restauration « en public » des Noces de Cana au musée du Louvre ? Il convient de se remémorer l’extrait du compte rendu du 5 décembre 1989 (cf. PDF du billet précédent).
La peinture du Véronèse devra : « être entièrement dévernie pour être purifiées, mais selon la suggestion de F.H. le vernis oxydé (…) pourra être récupéré, filtré et reposé sur les zones dévernies lorsque le nettoyage sera terminé. – L’effet final sera celui de l’allègement demandé par le département, même si pour y parvenir, la méthode n’est pas celle de l’amincissement progressif du vernis ». – principe souligné dans le compte-rendu pour le comité des initiés ; donc une entreprise hypocrite ?!..
De manière plus générale, on peut lire jusqu’à ce jour sur Wikipédia à propos des Noces de Cana : « La vaste surface de la toile (67 m2 environ) et les délais impartis pour mener à bien la restauration (deux ans et demi) nécessitèrent la constitution d’une équipe de six restaurateurs, dont les principes, les méthodes et les moyens mis en œuvre furent rigoureusement identiques. (…) Ils ont su atteindre, par leur grande expérience et leur talent, un résultat unique où aucune trace des six mains n’est perceptible ». Mais ‘prouesse’ possible en raison même du complet dévernissage, puis revernissage du tableau !
Pour justifier ce type « d’allègements », il est dit à présent pour L’Atelier du peintre que « les couches de vernis surajoutées peuvent représenter un risque pour l’œuvre ».
Dès lors ce type de pratiques – sous l’autorité d’un comité de conservateurs et de spécialistes – et de facilités techniques devient une politique innocente des « conservateurs-restaurateurs ».
Dans de telles interventions, on repose des vernis à retoucher de récupération ; des glacis teintés apocryphes en soutenant qu’est laissée « sur l’œuvre une couche significative de résines anciennes de restauration qui garantit le degré mesuré de l’intervention »(sic) ; puis on ne se prive pas de reprendre pour « réintégrer », fort de la bonne conscience que tout ceci sera réversible, comme l’a été le travail de finition originale ou ancien… – On ne sait !? En l’occurrence cette tactique a-t-elle changé aujourd’hui ?
N’ayant pu avoir accès au chantier de L’Atelier du peintre au M’O pendant la campagne « des allègements prononcés », il est sans doute légitime de s’interroger. Par ailleurs le terme de « lisibilité » est-il une « licence » pour modifier l’original ? Autorise-t-il à introduire un nouveau chapitre de travestissement sans explication supplémentaire ?
Depuis longtemps l’inquiétude est vive ; et les restaurations dites « esthétiques » se suivent sans qu’aucune réforme ne soit effectuée.
Avec Jean Bazaine nous avions été témoins, du vrai « mystère » des techniques de restauration actuelle. C’est pourquoi, indigné, il s’était exclamé : « un tableau n’est pas une porte ». Indignation partagée par de grands peintres et sculpteurs vivants « d’âges et de tendances diverses ». En lanceur d’alerte, j’avais dû, hélas, les distraire de leurs obligations créatrices et courtoisies sociales… Mais ils avaient ‘suprêmement’ perçu certains dénis de conscience visuelle et matérielle ; d’où le texte d’appel Le patrimoine dévoyé…
Ils avaient eu sous leurs yeux un procédé fallacieux et ses résultats : l’altération des vernis des coloristes vénitiens – vernis souvent encore originaux en France – voir celui du Bellini de Besançon ; des « réintégrations » arbitraires… Mais aussi, des survernissages (objet de conséquences désastreuses à re-restaurer, tel le grand Courbet !).
– Peut-on, en conséquence, dire que le respect du vernis le plus ancien n’est plus à l’ordre du jour (depuis le 5 décembre 1989) ? Dans quelle mesure L’Atelier du peintre du M’O se rattache-t-il à l’opération troublante des Noces de Cana ?
Dans l’inquiétude, force était alors de s’interroger ; de demander accès au chantier pour vivre mieux, peut-être, quelque déni aux réalités sensibles de l’Art. Car allez comprendre pourquoi, après plus de trente ans de mises en garde, mais aussi de formatage des nouveaux restaurateurs par les ‘spécialistes’, il a fallu encore avoir recours à l’autorité suprême de Matignon (le 6 déc. 2014), ce dès les premiers signes très préoccupants des tests d’allègement des vernis sur l’Atelier du Peintre de G. Courbet, pour obtenir une réponse aux réserves formulées.
Et savez-vous ce qu’il advint après le silence de la rue de Valois, au mieux : quelques courriers temporisateurs, dont celui du C2RMF (cf. PDF annexe).
Par ailleurs, nous n’avons pour l’heure pas d’opinion visuelle, ni de détails pratiques par l’accès au dossier sur les méthodes et résultats de la ‘restauration esthétique’ du Saint Jean-Baptiste de Léonard (cf. Restauration ou volonté de puissance ? - mai 2016). Le principe des nouveaux amincissements ‘modérés’, mesurés au micron près, fera l’objet de notre attention. En l’occurrence, s’agit-il enfin d’un retour authentique à l’éthique de la noblesse de l’Ecole française en matière de restauration ?
Si c’est le cas espéré, il faut s’en réjouir. Car combien de nivellements et pictocides – avec travestissement du timbre des couleurs et du climat chromatique – à la suite d’un précédent « en public », au musée du Louvre et en France ?
Revenons à une démonstration bien plus capitale encore comme emblème, et revendiquée sous les yeux du public du M’O – « comme une œuvre en soi » au musée (sic) : la restauration et ses annexes mis en scène… comme « une catégorie de trucs mis en vitrine ». Mais, puisque le caractère événementiel prévaut pour faire vendre des entrées… – Qui s’en plaindraient au ministère de la Culture, sauf si... ?
Ainsi que Régis Debray le relève, il va s’agir de distraire de l’essentiel, avec quelques complicités… cf. L’histoire de l’art et ses artifices, France-Culture, 6 août 2016 (en lien ci-dessous): « L’Evénementiel » (26 :12) L’homme précaire est livré au zapping et au sensationnel. L’histoire de l’art n’est plus un paradoxe… mais est devenu un paravent. – Elle ne peut plus définir un Objet, car l’art est conceptuel. [Dès lors] Le Louvre invite des plasticiens à ranimer ses collections permanentes (…) en y injectant des poupées gonflables, etc. ! (24 :30).
Pour conforter l’interventionnisme et expliciter l’enjeu, voici les termes de l’animation virtuelle numérique :
– « Vernir une peinture est une manière efficace de la protéger. Hélas, au fil des décennies » (cf. billet du 4 déc. 2014, en 8°) selon les propos officiels « des couches supplémentaires sont souvent ajoutées et le vernis peut s’opacifier rendant difficile la lecture du tableau. Pour contrer partiellement ces altérations du tableau, l’amincissement du vernis s’avère souvent nécessaire ».
Certes, mais c’est aussi idéologique en correspondance avec une société de l’obsolescence programmée. Mais pour qui serait choqué, on ‘informe’ : « Le résultat est parfois spectaculaire (…) »
Détail avant restauration : Vous auriez tort d’être choqué dans une société du spectacle, on intervient… dès les tests originels sur l’un des plus somptueux morceau de la peinture en toute assurance ‘scientifique’ ; intervention au centre de cette étrange et magnifique composition ; en ce lieu nuancé d’or et de miel, lieu de possibles glacis de lumière car fort du mouvement de la création picturale ; et l’on découpe, on chiffre, puis…
En haut : capture d’écran sur le site officiel (sous la responsabilité éditoriale du président de l’Etablissement du musée d’Orsay), une mise en situation virtuelle interactive vous implique. On vous présente un état qui, tacitement, est reconnu comme conforme à l’état avant restauration. Puis on vous responsabilise en ces termes : « A vous maintenant de rendre son éclat à la robe ». Dès lors le petit ‘coton virtuel’ peut être activé. En bas : capture d’écran de la fin du processus virtuel d’allégement du vernis. – Eblouissement final sur l’aspect noir et sale ! Mais notons que seule la robe (d’un rose fané, ou couleur jambon gras), fut éclaircie… comme un détail privilégié ; d’où un décalage harmonique avec l’entour. Compte-tenu de la teinte dorée du cliché de référence ‘scientifique’, porteur des tests d’allègement 1, 2, 3, c’est rendre le public complice d’une fourberie ludique.
– Soyez tous restaurateur-supporter, jugez comme le travail est effectivement bien délicat ! « Pour la seule zone sur laquelle vous venez d’agir… l’équipe de restaurateurs a œuvré trois jours : deux heures pour un décrassage [pouvant déjà neutraliser les effets de surbrillance], puis deux jours pour l’allègement du vernis en deux passages, et enfin six heures pour homogénéiser le vernis restant ».
– Reste à savoir si les six heures d’homogénéisation du vernis ‘restant’ sont décomptées avec le vernis oxydé récupéré, filtré et reposé, auquel on ajoute des glacis réversibles. Cette question est-elle légitime ? Les courriers officiels nous renvoient au principe de transparence : « le rapport final sera consultable à l’issue de la restauration au centre de documentation du C2RMF ». Mais il n’y aura plus d’enjeux.
– Quant aux repeints du doute du peintre… – autrement plus complexes que des heures d’artisanat – imbriqués dans les vernis des origines, avouons que la question reste posée !
Or ce sont de tels constats inexemplaires et des interrogations similaires qui firent écrire à Jean Bazaine, président de l’ARIPA (en 1992) pesant bien chaque mot à son habitude :
« C’est donc un problème d’une portée internationale qui se pose ; l’avenir de la peinture est en jeu ». Et comment ne pas se souvenir aussi de Leonardo Cremonini, au sortir du chantier des Noces de Cana : « grâce à Etienne Trouvers, nous avons pu faire l’expérience de pratiques étranges. Ce Véronèse est comme éclaté de partout ; mais, pour le paraître, ils sont capables de grandes illusions… Par amitié utopique nous avons cherché leur conscience ; mais ils nous ont traité comme des clochards malpropres qui puent encore la térébenthine : – Je peux être content qu’on me laisse encore peindre dans mon coin ; pendant combien de temps encore cela ? – La marginalisation de l’Art pictural est en route par les restaurations actuelles ! »
Et au sortir d’une visite, un mardi, pour vision « rapprochée » dans la salle des Etats, d’autres dirent ironiquement et doctement :
– Ici, au fond, pyramide du Louvre ou pas… c’est l’Intemporel qui n’est plus éternel !
Si l’Art est ‘la beauté faite exprès’ ce dont témoigne le grand Courbet, cette peinture ne peut se réduire à une recognition de personnages ‘en un certain ordre assemblé’ ! Pour les artistes et les futurs peintres ce tableau était tel qu’il nous était parvenu, non un objet mort ou en train de mourir, mais un recueil formel tout en finesse dans sa truculence matérielle. Gardons et conservons pour mémoire cet état témoin d’avant restauration !
Exécutée en 1855, son titre complet est : « L’Atelier du peintre. Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale) ».
– Assurément, tout un emblème encore, s’il s’agit de « réécrire l'histoire par les restaurations actuelles ! » [sic]. – Et avec quelles tentations peut-être plus vastes que ces 45m2 de cage de verre ? Citons encore Régis Debray : « Les valeurs qui définissaient l’artiste : la singularité, l’authenticité, la créativité, l’innovation, sont devenues les valeurs de la société omni-marchande. L’artiste n’est plus l’anti-bourgeois du XIXe siècle, parce que le bourgeois du XXIe siècle est devenu artiste » (27:54). Par voie de conséquences, affaire – à suivre…
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Réponses temporisatrices – dont celle du C2RMF Les Noces de Cana, Musée du Louvre - Wikipédia R. Debray - France Culture, 6.08.016 L’enjeu : femme nue ou muse du peintre/secret de la restauration