‘Restauration’ ?
au musée d’Orsay : L’Atelier…
Chap. 2/3
5) Pour ma part, dès 1983, vivant dans l’amour éperdu de la réalité sensible des œuvres au musée, j’avais en main des preuves émotionnelles suffisamment révélatrices pour réaliser qu’en France, à l’instar des musées anglo-saxons, on se lançait dans une politique interventionniste… Mais, tout comme le public non averti, j’imaginais que le mot « scientifique » (tant répété à chaque propos par les nouveaux ‘conservateurs généraux du patrimoine’) signifiait La neutralité objective… J’ai donc rencontré MM. René Huyghe et Germain Bazin, anciens conservateurs en chef du musée du Louvre :
Ils m’ont écouté comme un freluquet ; puis peu à peu m’ont mieux renseigné sur certains enjeux !…
En fait, tous deux participaient à regret aux décisions des commissions de l’époque. Bien que membres de droit, ils me confessaient avoir une confiance toute relative dans ce qui se tramait autour des mots ‘science’ et ‘scientifique’. Ils observaient qu’un glissement de paradigmes et d’éthique montait… en puissance ; une prise de pouvoir : la fameuse « Sciences au service de l’Art » etc., mais…
L’un, en tant qu’auteur sur la psychologie et la philosophie de l’art, l’autre en tant qu’humaniste, historien et amateur d’art, appartenaient encore à un monde de la Culture (avec un grand C), ou à des degrés divers de Vécu (avec un grand V), chacun pouvait poser une pensée visuelle plus ou moins bien dessinée sur le coin d’une table... Par exemple, à elle seule, la dédicace d’un R. Huyghe dans un livre était déjà ‘Calligraphie’ !
Epoque où l’on entendait dire au sortir du cours brillant (souvent d’un professeur à l’Ecole du Louvre) : « qu’il a bien parlé ; et quelles œuvres il nous a révélées… C’est vraiment magnifique pour moi qui ne sais pas dessiner ! ».
A plus de 75 ans, leur capacité visuelle pouvait être altérée, néanmoins, leur conscience d’amateur d’art déplorait que, d’année en année, la qualité des copies présentées pour agrément par les futurs restaurateurs révélait une baisse notable de sensibilité optique et de finesse de vue ! Par de telles affirmations, ils devaient être objectifs ; ils espéraient donc qu’avec la création de l’IFROA (Institut Français de Restauration des œuvres d’Art) en 1977, la formation des futurs restaurateurs serait suffisamment vaste et ouverte pour qu’ils puissent être les bons garants de la prudence et du non-interventionnisme, conscients de leurs ‘modestes capacités’ du genre : « malgré mes copies d’étude, je ne sais pas dessiner comme un maître ancien, ne me demandez pas de faire ceci ou cela ! ».
6) Globalement, leurs positions vis-à-vis des compétences et des habiletés des restaurateurs d’art à l’épreuve de ce qu’ils voyaient, étaient en train de devenir critiques et méfiantes ; mais ils disparurent ! Pendant ce temps, les formations induites par la nouvelle génération de conservateurs se révélaient de plus en plus positivistes… Voici cinq observations qui me reviennent – plus ou moins explicitées par ces anciens patrons du musée du Louvre (et du Jeu de Paume) :
a- Hanté par l’idée de contrefaçon ou de falsification, à la Conservation des musées, chacun va se rassurer à propos du petit côté trop interventionniste des ‘professionnels aux pinceaux…’ par des points essentiels d’éthique ; il y fallait dans le sillage des défauts, qualités et vertus de restaurateurs, tel Jean-Gabriel Goulinat (1883-1972) : Chartes, Préceptes théoriques et Techniques de « l’allégement des vernis » – grands principes faisant Loi !… D’où l’usage que le restaurateur ne soit pas ‘trop’ peintre, et demeure plutôt semblable à ’un ‘accordeur de piano’ sur toile, marbre, bois, etc. Car d’un certain point de vue, pourquoi trop pousser les restauratrices et restaurateurs dans leurs aptitudes artistiques (dessin académique, peinture, sculpture) ?
Mieux valait éviter que les ‘nouveaux’ restaurateurs, nos contemporains, ne développent trop leur sens critique et leur goût (a priori bon !) – et se prennent pour des chefs d’orchestre reprenant la partition plastique des œuvres qui leur sont confiées.
Et, puisqu’il fallait rester à la surface des objets de l’art… dans les pratiques de la restauration, le paravent ‘technico-scientifique’ enseigné à l’IFROA aurait toutes les vertus de la suffisance absolue d’une ‘mentalité technicienne’.
Ouvrir d’avantage les futurs restaurateurs à des propriétés autres, c’est-à-dire humaines (les arguments de l’esthétique, de l’œil, de la qualité, de la sensibilité…) à quoi bon !? L’idée intellectuelle « qu’il y a vraiment un respect de l’œuvre, une déontologie établie, pourvus de moyens purement rationnels » devait normalement suffire !
b- Les sciences dures, la chimie, la physique, les mathématiques, les techniques et l’érudition livresque (historique) occupent donc l’essentiel de l’enseignement apporté aux restaurateurs.
Mais bizarrement, et c’est un signe fondamental, le niveau de perception oculaire, test d’Ishihara ou de Farnsworth (minimum nécessaire à l’information du praticien !) – donnée ophtalmologique objective – n’est pas mesuré officiellement, ni pour les restaurateurs, ni même pour les conservateurs du patrimoine (peinture) ! Certes, le programme à étudier pour ‘l’épreuve d’admissibilité en Sciences’ comprend en Physique une rubrique ‘Vision’ (morphologie de l’œil et aspect de la couleur), mais cette étude correspond-elle à un examen de la perception visuelle du candidat ? Nous sommes, assurément et toujours, dans le théorique !
Or le citoyen fait confiance à ces corps professionnels en pensant qu’ils sont formés à la capacité optique… sur des bases bien établie, donc à l’aptitude au goût véritable, à la « faculté du discernement esthétique », et qu’ils sont un Œil !
c- Cercle clos sur un corpus de connaissances officielles étroit et tautologique de l’histoire de l’art, les épreuves d’entrée sont conçues pour exclure d’emblée tout corps étranger qui se présenterait à l’admissibilité : voir les copies types rédigée pour l’Ecole du patrimoine à « l’épreuve d’analyse et commentaire d’illustrations ». A première vue brillantes, elles sont éloquentes d’un formatage froid, dit ‘scientifique’, au domaine du ressenti artistique, ce fameux « L'Arrière-pays » comme le disait Yves Bonnefoy. Assurément, elles escamotent la réalité des climats et ambiances d’un tableau, trésor de l’humanité ; leur objectivité se révèle étrangère aux ‘affects’ et se contentent d’un descriptif précis, spécialisé… alors que les futurs restaurateurs auront ensuite à reconnaître les qualités esthétiques diverses qu’ils devront respecter, conserver !
Mais, me dira-t-on sans doute, les épreuves d’entrée comportent des éléments pratiques de l’art visuel, une réalisation de dessin académique ! On leur apprend donc à voir objectivement en regardant avec une optique informée…
Certes, mais qu’en est-il de l’intelligence subjective et critique des œuvres… d’attention au langage plastique et à sa poétique ? – Point ! Car, par écrit, surtout plus de regards autorisés quant à la surabondance des nourritures spirituelles de l’art, du genre André Malraux ou René Huyghe, dans les copies.
Germain Bazin m’avouait, courroucé : « Il est même question de baisser le coefficient de l’épreuve de copie d’après les Maîtres au concours d’entrée des écoles de restauration. » Sait-on pourquoi cette épreuve est à présent notée avec un coefficient 7/17 à l’admission ? Par tradition ? Et par qui ?
Or, je remarque déjà que dans les épreuves d’admissibilité présentes à l’INP (Institut National du Patrimoine), en ‘spécialité photographie’, une épreuve de photo numérique en studio peut se substituer à celle du ‘dessin élémentaire’ (toujours nécessaire au praticien à la démonstration d’une intervention !...)
d- Il est remarquable que, déjà, dès la formation, tout dépende d’une histoire de l’art spécialiste, affirmée comme ‘objective’ ! C’est peut-être pourquoi l’universitaire Daniel Arasse, référence à l’époque du colloque à l’auditorium du Louvre, en décembre 2002 (cf. Nuances n° 31), put affirmer : « A part les arguments de l’œil, de la qualité, de la sensibilité, qui sont des arguments d’autorité que je ne peux pas, bien sûr, accepter, et à part aussi le fait que toute restauration mauvaise est une mauvaise restauration et n’est pas une restauration du tout […], j’aimerais comprendre pourquoi il y a toujours une hostilité, parfois sauvage, à l’égard de la restauration. » En effet, que reste-t-il d’un poisson à qui l’on a retiré le luisant des écailles, les entrailles et le moelleux de la chair ? Une structure objective, digne de raisons !
Par ailleurs, Jean-Pierre Cuzin, conservateur général du patrimoine en charge de la conservation des peintures du musée du Louvre, reconnaît, effectivement : « Qu’un autre principe doit être de ne pas restaurer systématiquement des pans entiers de la collection d’un musée (règle, quasi automatique durant les années 80 et 90, de purification de la couche picturale) ; ne pas être systématique, comme on l’a vu dans le cas - disons-le - de certains grands musées de province français, dont l’ensemble des collections a été́ restauré pour une date X. » Règne d’autorité et de la ‘tavola rasa’ sur tout ce qui est perçu comme élément dénaturant l’idée, dite rationnelle, qu’un cénacle se fait, à un moment donné, d’une œuvre. Et le restaurateur, souffrant d’annihiler le travail de ses prédécesseurs, si ce n’est à l’œuvre de l’artiste lui-même : « Ah ! si vous saviez ce que l’on nous demande ! Vous ne pouvez l’imaginer... »
e- A leurs débuts, les restaurateurs s’avancent ainsi que de petits oiseaux picorant çà et là, bien à la surface du vernis le plus ancien, ce sont juste quelques repeints ou soulèvements ponctuels… dans une attitude de respect des œuvres (et des pouvoirs qui les enseignent). Il n’est pas question de procéder à un dévernissage total, ni de toucher à l’écorce de la branche sur laquelle ils se posent. Mais pour quelles raisons passent-ils de cet état d’oiseau sur la branche à celle d’oiseau en cage plus que nettoyeur ? Et la ‘force des choses’ fait qu’à grands coups d’ailes les voilà faisant table rase de qualités artistiques misent ‘en restauration’. Allez comprendre pourquoi trop de restaurateurs se voient dans le besoin – plus ou moins conscient – d’éradiquer des qualités objectives des œuvres qu’ils seraient incapables de fonder, de refaire, ou de reproduire (dans le meilleur des cas, c’est le travail de leurs ancêtres). Sans doute se sont-ils faits trop apprivoiser par le système autoritaire pour ne pas dénicher leur pitance autrement. – Ah conscience, conscience ; combien de mensonges vitaux sont couvés !?
Michel Favre-Félix de relever : « Et au moins aurons-nous soin de ne pas substituer à l’autorité́ du peintre, en quoi nous ne croyons plus, une confiance sans critique dans le laboratoire ou le musée. A bien des égards, ceux-ci sont les nouveaux modèles d’autorités, dont il est devenu aussi inconvenant de discuter les affirmations que pour un scolastique de mettre en doute Thomas d’Aquin. »
Chacun a besoin de vivre… et il n’y a plus de valeurs dans une société uniquement régie par le marché, la concurrence et les alibis des experts ; les restaurateurs d’aujourd’hui sont armés de dissolvants ‘scientifiques’, et toute restriction est entachée de principes rétrogrades. « Tout se vaut donc puisque le marché dicte sa loi. »
7) « Participez à la restauration sur… Les donateurs bénéficieront d’une réduction d’impôts de 66% du montant du don et de contreparties exceptionnelles, accès privilégiés au sein du musée, rencontres avec des experts, présentation de la restauration, visibilité de leur nom aux côtés de l’œuvre… »
Jean-Gabriel Goulinat Interventions depuis 1934Site de l’ARIPA