- Interpellation d’une lectrice
à travers les Arts de l’Islam, Louvre (suite)
Après la mise en ligne des précédents billets sur les arts de l’Islam, voici trois réactions de lecteurs. Il nous paraît juste d’en publier de larges extraits :
– « Merci de vos billets en triptyque (…) c’est par le bouche à oreille d’amis amateurs d’art que j’arrive sur votre blog. Vos critiques me permettent de mieux comprendre une part des troubles ressentis cour Visconti (en lieu et place de mes souvenirs encore bien vivants d’ancienne élève à l’Ecole du Louvre, ayant fréquenté la salle Courajod).
Plus modeste et contrainte, l’ancienne disposition muséographique des Arts islamiques à l’entrée RICHELIEU (ouverte en 1993 ?) avait des accents didactiques plus percutants pour l’esprit. Mais, comme toute chose nouvelle, ce huitième département a de quoi fasciner.(…)
J’apprécie vos critiques, et surtout, les incises éloquentes créées par les illustrations de votre blog ; et je capte vos pointes d’humour caustique, dont : « les mauvaises langues n’ont pu dénoncer une Absurdité digne de la tente de Kadhafi plantée dans les parquets cirés à l’Hôtel Crillon… », ou « voici une pratique dangereuse comme celle d’un champignonneux ramassant de tout… au prétexte d’être ‘bien’ dans son assiette », etc.
Moi-même amateur d’œuvres d’Art et collectionneuse à mes heures, j’ai trouvé plutôt spectaculaire et cocasse l’œuvre de Christo appliquée en 1985 au Pont neuf de Paris. En fait un artiste ayant su autofinancer ses risques – des risques audacieux, bien dans la ligne des avants gardes subversives du XXe siècle… Une époque de chevaliers « de force blanche », dites vous !
Or, pour compléter le concept de l’implantation dans la cour Visconti, il faudrait le voir dans une contextualisation plus ample. Ne faut-il pas remonter en effet aux précédents… aux similitudes contemporaines, non plus artistiques et pionnières, mais ‘officielles’ ? Par exemple, après le travail du ministère de Jack Lang, l’implantation dans une cour du Palais-Royal des Deux Plateaux (‘Les colonnes’ de Buren), éléments qui pouvaient déjà se défendre comme geste de modernité nécessaire et réaliste… Un ensemble de souhaits volontaristes et concrets tendaient à métamorphoser notre goût classique… Un gouvernement polémique (fort de ses ’initiés’) pour qu’advienne au cœur même du Ministère de la Culture, une modernité de plus en plus totale. Et voici l’art contemporain dans les lieux patrimoniaux de première importance ! Dès 1986 une installation emblématique semble devenue nécessaire à l’évolution du monde !?
Mais en 2012, que penser de ce pragmatisme ? Le parti-pris politique d’alors est-il toujours le maître avant coureur de toutes les nécessités ? – « Les premiers sont les derniers/Les derniers sont les premiers…», vous souvenez-vous de cette cantilène des cours de récréation ?
Les crises diverses, périls actuels et enjeux présents du monde, poussent, assurément, à refonder sur d’autres paradigmes l’esthétique. Je vous rejoindrais donc pour souligner que l’installation de ce Voile dans un lieu public (la ‘grille d’aluminium dorée’ des architectes Bellini et Riccardo au Louvre) ne sonne vraisemblablement pas comme… inoxydable !
Par ailleurs, nous ne sommes plus dans la logique mythique des écuries de Marcel Duchamp puisqu’a été créé un académique prix Duchamp, depuis 2005 à la FIAC ! Or, même au Château de Versailles, les termes du contrat articulant façon Daniel Buren ou Rudy Riccardo : « respect contextuel et transgression » sont actuellement dénoncés en ces termes par la nouvelle présidente du Domaine, Catherine Pégard (cf. Le Figaro du 27 janvier 2012) : « Il me semble que nous sommes arrivés aujourd'hui à la fin d'un cycle. Nous le sentons désormais peu à peu, la présence de l'art contemporain, j'oserai dire, se banalise, comme dans tous les musées du monde ». Les dernières installations produites à des fins de polémiques esthétiques sont comme éculées ; et dès leur provocation elles vieillissent sur pied… ne faisant même plus recette du fastueux décor! »
– Le ‘procédé Marcel Duchamp’ rejoignant une des lois de la thermodynamique contemporaine : ‘faire le plus possible d’effet avec le moins d’énergie objective dépensée’ est invalidé dans le champ humain par le principe de réalité de la sensibilité, de la conscience et de l’entropie. Les objets des opérations de la communication officielle devaient choquer, porter des forces, et délivrer du faire valoir… et ils nous paraissent à présent comme assez creux et ‘gentillets’.
– Dans la mesure où n’importe quel sujet, touriste de passage, ou même, ici, couple de corneilles, se font photographier hors de tout mystère, comme si de rien n’était – Bleu Champagne, 2012 – (pièce d’arrière plan monumentale assez sommaire et festive !) est : dissoute, escamotée, éclipsée comme fantôme… Il est alors remarquable qu’une bonne part de l’aura nécessaire aux objets de Joana Vasconcelos déroge et se range… Car si l’on considère pleinement la force toujours poétique des sculptures de bronze (chères à Louis XIV) au parterre d’eau nord, telle cette – Nymphe – de Pierre Ier Legros qui incarne une autre optique de la profondeur par son profil perdu… l’aspect de néo-puritanisme (ou de contre-réforme actuelle) des objets contemporains ‘même vedette d’un jour dans nos médias’ ne porte, finalement, qu’à usure... E.T.
« C’est en terme d’authenticité que les musées détiennent une autorité. En ces lieux s’objective la subjectivité. Ils sont un lieu sensible d’ordonnance muséographique par catégories, par genres, par écoles, selon la chronologie, etc., scientifiquement (m’a-t-on appris) ; car bien distingué par le savoir critique actuel !
Force serait de reconnaître que les nécessités présentes et à venir sont autres que l’événementiel ; et que la vaste confusion des catégories et des genres furent établies tout bonnement sous l’obédience d’anciens ministres de la Culture et de la Communication. (…) Or au XXIe siècle, il me semble qu’il faut douter des bien-fondés Absolus, de promotions dites transgressives, mais coutumières et spécifiques du XXe siècle.
Je pense que vous n’avez pas osé dire assez ouvertement que ce huitième département du Louvre est la démonstration de l’amortissement de la sensibilité. (…) Mais reconnaissons qu’il y a eu autour des Arts de l’Islam au Louvre un grand nombre de compétences, de techniques ou d’efforts.
Par contre, l’harmonisation des architectes de Napoléon III, Lefuel et Conti, conjuguée aux sculpteurs et architectes de l’époque d’Henri IV a été, hélas, plus que métamorphosée : Ravalée !!! Vous avez le rare mérite de souligner ce non-sens au Palais du Louvre !
En ce domaine, il n’y a plus de polémique véritable aujourd’hui dans les médias ; vous remarquez que ce piétinement, selon une muséographie paysagère – sans parcours bien évident – nous fait « paître tout autour d’une vitrine à l’autre ». Bravo de l’avoir souligné !
J’ai pu observé également que l’on y rencontre un nouveau public venant au Louvre « en quête de ses racines identitaires ».
Je constate aussi que vos remarques sur certaines inversions entre objets d’art et cartels ont dû permettre de trouver encore quelques fonds pour refondre d’autres étiquettes ou déplacer les numéros ! (…) Et que la nuance choquante, d’une des listes de ‘Donateur principal’ exhibées sous projecteurs dans la salle d’exposition a été retirée au plus vite !
– Grâce à vos critiques concrètes, ici, je me sens déjà brebis moins moutonnière !
Demeure le constat sur l’escalier, noir comme une Kaaba, mais qui ne signe pas la pente à compliments : ‘une côte mal taillée’ juste parfaite pour s’y prendre la tête ! »
Complément de l’escalier de béton noir de l’architecte, à présent, des flèches directionnelles pour bien nous conduire… et un carré de piquets : ‘par mesure de sécurité !’ E.T.
« Vous allez rire de ma petite part mal accomplie de ‘ménagère d’un autre temps’, mais, en toute sympathie, j’ai été fatiguée par ces sols à paillettes d’or et ces superbes vitrines à entretenir. – Quel travail au quotidien ! Le Louvre a bien des mérites… ! – Quel est le budget de maintenance de ces 2 800 m2 ? Et voilà que comme vous, je crains ici un laisser aller… après la très vaste part du décevant.
Vos billets nous font l’honneur d’une fraicheur attentive ; d’une prise de parole ancrée aux sources même du bien regardé ; et au fond de notre pacte républicain de liberté d’opinion ! »
Simone G.
P.S. : Les médias sont dithyrambiques ! A ma connaissance, en français, l’un des seuls « papiers critiques » traitant de la problématique générale des adaptations actuelles de notre Patrimoine architectural, est l’article de T. Hertzog - Les Arts de l’Islam au Louvre : adieu à la cour Visconti. Mais il demeure dans la sempiternelle rhétorique d’une chose et de son contraire. Toutefois, il est à parcourir si ce n’est déjà fait (cf. in. La règle du jeu, en date du 21 oct. 2012).