Pour les Arts de l’ISLAM au Louvre

chap. 2/3 :   -Les architectures

Dépassant les contrariétés déjà décrites, après les épisodes de mauvaise humeur, j’y suis retourné le surlendemain… Il me fallait assumer, rendre compte de l’état esthétique ayant cour actuellement au Louvre. Venons-en à ces  2 800 m2 de la superficie d’exposition.

Selon certaines visions des maquettes de 2004,  ou images virtuelles des bureaux d’architectes, on pouvait s’attendre à du fantastique esthétique ; à du « tout à fait remarquable et réussi » de la plus fine espèce (ainsi qu’il en a été pour la pyramide de verre, vecteur de la cour Napoléon de Peï ;  la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne, architectes : R. Atouguia, P. Cid, A. Pessoa et Leslie Martin en 1983 ;  ou le musée Guggenheim de Gehry à Bilbao).

Les auteurs :
– Mario Bellini (né en 1935 à Milan) est un designer qui fait mon admiration !
(Par exemple, ayant conduit la décoration de la résidence d’un de mes collectionneurs suite à son acquisition de mon tableau prototype  – Délivrance de la forge –  une rencontre idéale s’est produite avec l’une des conceptions de M. Bellini, sa table dite La Rotonda !).

– Rudy Ricciotti (né en 1952 en Algérie) était l’architecte français vraiment idéal pour remporter le concours ; alliant, comme il se présente  « respect contextuel et transgression » ;  lui qui ne manque pas d’ironiser, d’ailleurs, sur  « l’anxiété » non partagée des « bureaucrates du Louvre », pour des travaux d'une durée de huit ans  « à se suicider, si… » englués par les eaux de la Seine ou quelque odeur d’incendie au chantier ?

Il fallait s’attendre à quelques gestes forts dignes des 100 millions d’euros. C’était ‘un devoir de réussite’ puisque d’autres projets (peut-être plus économes ?) d’une couverture générale sur toute la cour Visconti, selon le modèle des cours Marly et Puget, avaient été déboutés… donc « des prouesses architecturales » se devaient d’être au rendez-vous !

La communication des architectes Bellini et Ricciotti ne manque pas de savoir faire. Alors que des mauvaises langues n’ont pu dénoncer une :  « Absurdité digne de la tente de Kadhafi plantée dans les parquets cirés à l’Hôtel Crillon… »,  les mots magiques de : « tapis d’orient » ;  « voile » ;  « tente du désert » ;  « aile de libellule » ; « dune des sables » ; « nuage d'or... » ont été suggérés pour convaincre les financiers et enchanter même jusque dans les très lointains déserts…

Or, devant la réalisation, vue in situ, j’ai tout de même de fortes restrictions. Une authentique déception, des doutes, et même, oserai-je le dire, quelques pressentiments !

Les voici :

– Initialement, sur maquette, le bâti paraissait superbement translucide…  avec certaines irisations de verres antiques (aspects qui font les délices des éclairagistes des vitrines des musées !). Et comment ne pas avoir aussi l’idée que « dans une transparence voulue », sous certains angles de vue par les fenêtres du Louvre, l’ondulation de verre de cette enveloppe architecturale dite en « voile ou aile d’insecte » aurait pu refléter et mettre en valeur le trésor complexe des architectes et sculpteurs d’Henri IV, Louis XIII et Napoléon III ?  Et Mario Bellini, dans un entretien au Nouvel Obs. (13-09-2012) soulignait :  « Dès la phase de concours, nous avons beaucoup insisté sur la qualité des matériaux et des effets de transparence et de lumière que le projet produirait une fois réalisé ».

Or, il s’avère que la transparence ‘moderniste’ a été quasiment occultée par un ensemble de  2 350 triangles de métal recouvrant les verres en aile de libellule par un grillage d’aluminium doré (peut-être afin de filtrer quelque peu la luminosité naturelle de l’espace pour le travail du scénographe !?).

– De plus les principes de la modélisation numérique laissaient encore espérer au génie.  Et le monumental  « ‘foulard’ de 45 mètres sur 30 dans une cour de 55 mètres sur 40, qui ondule, comme soulevé par le vent jusqu’à pratiquement toucher en un point le sol et sans complètement encombrer la cour ni parasiter ses façades » suggérait ainsi quelque effet de moirage monumental grâce aux matériaux contemporains.

Mais, d’effets magiques sur le ‘foulard’ vus en virtuel…  Aucun dans la réalité ! Pourtant, avec quelques regards conjugués entre :  cour Visconti et nature foncièrement décorative des Arts de l’Islam, il y avait assurément quelque chose à tenter sans qu’il n’y ait danger « de pastiche » !  Ici l’idée des Arts décoratifs trépassés ou dépassés dans l’architecture moderniste nous a été fatale ?!

– La monotonie des 2 350 triangles d’aluminium doré (assez morne en définitive !) est laissée à notre présent…

Les quelques visuels qui circulent dans les médias sont presque l’image d’un fantôme trompeur. Soit on exhibe le dessin de ce fameux ‘tapis volant’ selon un angle de vue inaccessible au public (car le public n’est plus admis cour Visconti), soit on nous montre des photos de fleuve doré (vues d’oiseau ou de couvreur).

Fasciné par la beauté sidérale d’une soucoupe volante, médusé par l’onde digne de calculs dépassant la mesure de la règle et du compas, je suis allé y voir de plus près. Et j’ai eu, hélas, le même type de déception que devant l’habillage du Pont Neuf  par Christo. Les projets dessinés et peints étaient superbes et de force blanche… mais la réalisation d’audacieuse était devenue relativement médiocre et passe-partout  – d’un similaire ton de voile dorée (pour complaire et ne pas gâcher le festif !).  Néanmoins, par devoir et scrupule… je suis retourné encore pour photographier l’objet de mes doutes sensibles par les fenêtres de la salle Mollien,  et ce, au plus beau moment d’un ciel de carte postale :

« Deux façades d’une ornementation à la française du XVIIe siècle, si belles et raffinées » me disait Georges Jeanclos-Mossé,  « les calcaires de cette Cour Visconti (comme s’en souviennent encore les anciens élèves de l’Ecole du Louvre) avaient été conservées ainsi comme ensemble de pierres de diverses provenances et périodes, maintenues dans leur gangue de patine protectrice, un sanctuaire, témoin unique de l’intégrité du patrimoine artistique d’avant les ravalements à répétition  – qui entament mortellement la calcite des pierres à Paris et les rendent toujours plus poreuses… ». Mais, pour la spectacularisation contemporaine de l’opération, la direction du Louvre en a disposé… (levant ici aussi un tabou de conservation pour les générations futures !).

– Profitons donc de l’aspect présent bien remarquable sur mon cliché jusqu’aux sculptures dans les niches !   Ce tout merveilleux radieux dans la lumière du soir !  Noble décoratif (figures et ‘vierges noires’ avant leur ‘nettoyage’ !), mais à présent plus que nues dans la pollution des rues de la Ville… (?)  – Alors que le projet ‘non retenu’ :  une couverture de verre à première vue complexe sur l’ensemble de la cour Visconti au niveau haut des toits n’aurait pas eu de conséquence  à retardement !!

A l’inauguration des nouveaux espaces, en sept. 2012, on peut aussi ne pas regarder ou voir l’élément moderniste  « d’aluminium doré, clair et brillant, aux reflets irisés qui vont du vert au violet en fonction de l’incidence du soleil » (dixit de serviles propos laudateurs !). Mais par contre, admirer une partie d’un ensemble architectonique classé, car de première beauté… Travail savant d’authentiques sculptures en très belle pierre d’époque, et des plus intéressant dans ce palais du Louvre… dont parle subtilement Robert Merle, dans  Fortune de France  éd. De Fallois 1994. Un moment historique charnière d’une pensée cruelle et raffinée, où  fraises, dentelles et muguets de cour nous laissaient tout de même de sacrés morceaux architectoniques  – hélas aux oubliettes de notre raison au pouvoir… demi occultation définitive, à présent ?

Le parti pris moderniste (sans décor ornemental aucun) de ‘nos’ architectes étant nettement implanté dans le Louvre, observons aussi ce qu’il nous suggère :

La finesse du designer puriste italien n’est pas à mettre en cause. M. Bellini a fait encore merveille pour notre confort avec des banquettes où l’on peut vraiment s’asseoir et se reposer.   Mais quiconque observe les abords  dans tous les coins révélateurs de cette architecture s’étonnera – peut-être en esthète ? –  que son pourtour ne soit pas un spectacle apaisant…

Admettons que Rudy Ricciotti, chef d’orchestre dans cette réalisation pour le Louvre Paris, ne soit pas responsable de tous les détails solistes du bâtiment… Mais, compte tenu des lourdeurs architecturales noires : ‘couloirs d’accès’ à l’espace d’exposition, comment ne pas voir déjà trois corrélations fâcheuses :

1- Ici le moindre fil électrique pendouillant (comme à droite, le flexible bleu…) fait désordre comme un poil au nez !

2- On ne peut que s’inquiéter de l’état de salissure potentiel sous ces gilles dorées inoxydables (sur charnière ?). Mais quel budget de nettoyage pour toute cette résille ouverte sur verre a-t-on prévu ?  Car non seulement la crasse parisienne, les feuilles des arbres de la Seine, mais aussi, les diverses fientes et plumes d’oiseaux :  pigeons, moineaux, mouettes, goéland et corneilles (qui se sont déjà installées aux alentours ou nichent au Louvre ?),  donc un ensemble d’éléments complexes qui maculera ou marquera inévitablement ce trop beau toit d’une telle tente de verre (mais tout de même assez bas au-dessus des vitrines d’expositions pour n’être aperçu qu'abstraitement ) ?

3- Les éléments pénétrants (‘blocs noirs’ des entrées sur la cour Visconti), tout comme de l’escalier en béton (aperçu à droite,  cf. second visuel) proclament une conception pour le moins violente de l’architecture de Ricciotti :  « transgression »(sic)  vécue ici dans une confrontation ;  guerre de béton ou lutte de ferraille… (fort bien pour l’effet des jeux sur maquette),  mais vivable dès à présent comme une sorte d’intégrisme architectural contre l’existant, contre l’ancien !  – problème culturel de convenance dite traditionnelle ou de mentalité militante ?

« Les civilisations ne sont pas des blocs qui s'ignoreraient ou qui se heurteraient. Les civilisations progressent par leurs rencontres, par leurs dialogues » (extrait du discours officiel de l’actuel Président de la République française, le 18 septembre). Mais, Bellini/Ricciotti parlent de « promiscuité indésirable avec le caractère XVIIIe du palais des rois de France ».  Et, pas très ‘casque bleu’ dans leur mission d’architecture pour l’harmonisation des arts, de leur crainte d’impureté :  « créer (pour les ARTS de l’ISLAM) des interférences incongrues et anachroniques avec le style du XVIe  siècle de la cour Visconti » (sic) (propos recueillis par B. Géniès). En l’occurrence… est-on encore à un ou deux siècles près ?

On aura beau présenter le tout d’un tel bâti implanté profondément à plus de 12m (et si proche de la Seine, d’une crue centennale !?) comme « un geste délicat et poétique », pour autant, je ne m’en laisse plus conter de visu… Car comment ne pas penser, qu’avec un plus d’amour, d’attention, d’équanimité et de volonté d’harmonie en ce siècle à bâtir,  que l’on aurait pu ‘mieux faire’.

à suivre  chap. 3 -troisième aspect : La muséographie